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ALTÉRITÉ, philosophie

Vers une reconnaissance de l'expérience d'autrui : Kant, Scheler

Max Scheler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Max Scheler

La phénoménologie husserlienne restant prisonnière de la représentation et de la perception, la voie d'accès à l'existence d'autrui, à l'intersubjectivité, ne se trouverait-elle pas du côté du sentiment, de l'affectivité (Einfühlung), laquelle relie les êtres en deçà de la dualité sujet-objet, dans la mesure où elle met directement « en présence de... » sans l'intermédiaire de la représentation ? Ce fut la voie qu'emprunta Max Scheler en privilégiant la sympathie, perception ou encore compréhension affective des émotions d'autrui, qui laisse subsister la différence entre ce qu'autrui ressent et ce que je ressens moi-même à la vue de ses peines ou de ses joies. Mais pourquoi privilégier la sympathie, plutôt que la haine ou la colère, parmi toutes les affections humaines ? N'est-ce pas omettre le moment de négativité constitutif des relations interhumaines telles que la dialectique du maître et de l'esclave chez Hegel ou la lutte des classes chez Marx ? En outre, nonobstant les nuances qu'introduit Max Scheler entre le partage direct de la joie ou de la souffrance d'autrui, la contagion affective, la fusion affective, et la compréhension affective, se pose néanmoins le problème d'éviter que la sympathie ne se perde en autrui, ne l'absorbe, tout comme Heidegger distinguera entre une sollicitude (Fürsorge) affairée et qui assujettit autrui (Besorgen), et une sollicitude plus authentique (Sorge) qui, en laissant être autrui, le libérerait.

Emmanuel Kant - crédits : AKG-images

Emmanuel Kant

Cette limite à la sympathie, Kant l'avait découverte pour sa part dans la notion de respect, notion au sein de laquelle émerge l'expérience d'autrui. Le sujet accède à sa qualité de sujet transcendantal dès lors qu'il manifeste sa volonté de surmonter ses désirs et ses inclinations particuliers en adhérant au principe d'une législation universelle : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d'une législation universelle. » Le droit d'autrui à exister et, corrélativement, mon obligation à son égard, naît d'une volonté de finitude délibérée du sujet. La loi morale est en moi, comme en tout un chacun, et son efficience consiste précisément dans son universalité. Lui obéir, c'est faire preuve de respect, se constituer en sujet et du même coup constituer tout un chacun en sujet, respecter les autres dépositaires de cette loi morale universelle. La position d'autrui s'acquiert par la limitation des prétentions du sujet empirique au moyen de la raison : par le devoir de « reconnaissance d'autrui ».

En outre, chez Kant, c'est la notion de fin en soi qui assure la constitution d'autrui non plus en tant que « chose » mais en tant que « personne » : « Les êtres raisonnables sont appelés des personnes parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut être employé simplement comme moyen, quelque chose qui, par suite, limite d'autant toute faculté d'agir comme bon me semble, et qui est un objet de respect » (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785). En constituant autrui comme une personne, je m'oblige à le respecter en tant que tel : c'est du sein de l'éthique et non plus de la perception qu'autrui m'apparaît comme une « personne ».

Ce respect dû aux personnes formalise en quelque sorte la Règle d'or de Hillel qui répondit en ces termes à un Gentil qui voulait connaître l'essence du judaïsme : « Ne fais pas à ton prochain ce que tu détesterais qu'il te fît. C'est ici la loi tout entière ; le reste est commentaire » (Talmud de Babylone, Shabbat). L'Évangile énonce pour sa part[...]

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Martin Heidegger - crédits : G. Schütz/ AKG-images

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