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ALTÉRITÉ, philosophie

Paul Ricœur : une dialectique du soi et de l'autre

La construction d'une dialectique unilatérale du Même et de l'Autre s'avérant impossible, aussi bien avec Husserl qui dérive l'alter ego de l'ego, qu'avec Levinas pour qui c'est l'Autre qui assigne le moi à sa responsabilité, Paul Ricœur va alors tenter d'opposer une troisième modalité de l'altérité : « l'être-enjoint en tant que structure de l'ipséité », telle qu'elle puisse se concilier avec l'estime de soi et s'attester dans une réciprocité qui n'aurait plus rien d'asymétrique. Que le je soit défini comme moi empirique ou comme sujet transcendantal, qu'il soit posé absolument sans vis-à-vis autre ou relativement par référence à l'intersubjectivité, le paradigme des philosophies du sujet tient en ce qu'elles se définissent cependant toujours à la première personne : ego cogito. Et c'est pourquoi Paul Ricœur propose pour sa part une herméneutique du Soi qui se situerait « à égale distance de l'apologie du cogito et de sa destitution » par Nietzsche, marquant ainsi ce qui le sépare des « philosophies du sujet », et déplaçant la problématique sur le terrain de l'analyse linguistique et de l'identité narrative.

Le titre de l'ouvrage où il formule cette proposition, Soi-même comme un autre (1990), constitue à lui seul tout un programme. La substitution du pronom réfléchi Soi au Je, souligne le primat d'une méditation réflexive sur la position immédiate du sujet. Au terme du doute, Descartes n'est pas parvenu à restaurer l'existence d'autrui. Et si la grande découverte de l'intentionnalité consiste bien dans l'affirmation du primat de la conscience de quelque chose sur la conscience de soi, la phénoménologie husserlienne n'en reste pas moins, elle aussi, une prétention à l'autofondation. C'est là le signe pour Ricœur qu'il faut rebrousser chemin, s'écarter du fondement solitaire du cogito, que la reconnaissance d'une pluralité et d'une altérité nécessite bien une démarche éthique. Or, « dire Soi, ce n'est pas dire Je », l'herméneutique du Soi devant permettre de dépasser la querelle du cogito, car « la conscience n'est pas origine, mais tâche » (Le Conflit des interprétations. Essai d'herméneutique, 1969), c'est-à-dire qu'elle est l'ultime réalité et non pas la première.

Le « même » du Soi-même permet quant à lui de distinguer deux significations majeures de l'identité selon que l'on entend l'idem – la similitude de l'individu qui est et reste le même à travers le temps, et que Ricœur nomme « mêmeté » ou identité du caractère – ou bien l'ipse latin, où l'identité du Soi se constitue comme « maintien de soi » à travers le temps, grâce à la promesse faite à un autre qui compte sur moi. « L'autre n'est pas condamné à rester un étranger, mais peut devenir mon semblable, c'est-à-dire quelqu'un qui, comme moi, dit „je“ » (Soi-même comme un autre), à condition de voir en lui une personne vis-à-vis de laquelle je m'oblige au respect.

L'engagement du sujet moral, par opposition à l'agent de l'action quotidienne qui ne fait que déployer son caractère, met en jeu une dialectique du Soi et de l'autre que soi telle que l'altérité puisse être constitutive de l'ipséité elle-même : il faudrait alors entendre Soi-même en tant qu'autre. Autrui m'interpelle et me supplie : « Toi, aime-moi ! », et Paul Ricœur baptise sollicitude l'élan de soi vers l'autre qui constitue la réponse à cette interpellation et qui ne consiste pas exclusivement en l'obéissance à un devoir : l'intention éthique précède la[...]

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