AALTO ALVAR (1898-1976)
La composition par agglutination
« Les parallélépipèdes de cubes de verre et de métal synthétique – le purisme snob et inhumain des grandes villes – illustrent un mode de construction qui a atteint un point de non-retour. Cette voie-là est une impasse. » C'est en ces termes qu'Aalto condamne sans appel, en 1958, la voie où s'est engagée l'architecture européenne, et bientôt internationale, entre le début du xxe siècle et les années trente. Face à l'uniformisation à laquelle aboutit l'emploi de la grille orthogonale, il oppose une composition par agglomération.
Cette méthode de travail, adogmatique, consiste à définir une hiérarchie des besoins et à disposer les volumes qui leur correspondent, hors de tout système préalable, suivant des réactions prioritaires liées à chaque programme. Le résultat, imprévisible, est un plan complexe apparemment incohérent mais jamais anarchique. La juxtaposition de cellules adaptées aux fonctions qu'elles abritent répond à un ordre qui n'est pas synonyme de géométrie.
Examinons le cas du Finlandiatalo d' Helsinki (1962-1975), palais des congrès comprenant une grande salle de mille sept cent cinquante places, une petite salle pour la musique de chambre et un restaurant. Ces différents éléments sont juxtaposés les uns aux autres sans aucune continuité spatiale. Chaque salle de spectacle, chaque escalier, chaque pièce a sa forme propre, régulière ou non, et s'agglutine aux autres cellules. Aucune axialité, aucune réciprocité formelle ne vient créer d'ordonnances ou de symétrie factices. Verticalement, la discontinuité est totale. Chaque niveau semble posséder sa propre indépendance formelle et structurelle. De vastes zones de dégagement, espaces tampons entre ces cellules autonomes, assurent la cohésion de l'ensemble. Le traitement de la lumière et l'enveloppe elle-même renforcent l'harmonie de l'édifice. Déjà maîtrisé à la bibliothèque de Viipuri, le principe des lanterneaux et des puits de lumière est couramment employé par Aalto, à Helsinki, à Rovaniemi ou à Wolfsburg. Les nécessités de l'éclairage naturel trouvent parfois une expression architecturale autonome dans la reprise du thème antique de l'atrium. L'hôtel de ville de Säynätsalo (1949-1952), au plan introverti, tourné vers la cour centrale, en est le meilleur exemple.
Dans ses bâtiments, Aalto ne recherche pas une continuité spatiale entre intérieur et extérieur, s'écartant ici du couple organique architecture-nature, défendu par Franck Lloyd Wright. Le mur périphérique enveloppe l'édifice comme un vêtement moulant où les fenêtres n'ont pas toujours place, sinon en hauteur comme source de lumière. Les fenêtres à hauteur d'homme sont souvent dissimulées derrière un écran composé d'éléments verticaux et parallèles qui ménagent au promeneur des séquences de vue au cours des déplacements, modulant la pénétration de la lumière suivant la rotation du soleil. À l'extérieur, l'écran s'inscrit généralement dans la continuité de la décoration murale pour laquelle l'architecte affectionne tout particulièrement le traitement en bandes verticales où alternent les couches de couleurs et de matériaux différents : bois, cuivre, céramique, marbre, etc. Assumant les conflits et la complexité de la vie, Aalto maîtrise et imite l'apparent désordre de la nature. Il agglutine les éléments et compose son architecture comme se construit une ville. Ce mode de composition du plan, que la critique qualifie parfois abusivement d'organique, caractérise le travail d'après guerre d'Aalto appliqué à des programmes d'urbanisme et d'architecture aussi divers que le plan de reconstruction de la ville de Rovaniemi, l'École polytechnique d'Otaniemi (1955-1964) ou l'église Vuoksenniska à Imatra (1956-1959). Aalto se constitue un répertoire iconographique où il puise indifféremment pour ses œuvres d'architecture[...]
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Écrit par
- Gilles RAGOT : historien d'art, responsable du Centre d'archives d'architecture du XXe siècle de l'Institut français d'architecture
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Médias
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