MUTIS ÁLVARO (1923-2013)
Poète colombien depuis longtemps reconnu par les amateurs dans son pays et dans toute l'Amérique latine, c'est par les romans du cycle de Maqroll le gabier qu'Álvaro Mutis a atteint un vaste public. Cette activité romanesque, qui l'oblige à abandonner des années durant une création poétique à laquelle il déclare sans cesse vouloir revenir, n'est cependant pas le signe d'une rupture : Maqroll, ce héros aussi mystérieux que son nom, s'il n'est pas tout à fait le double de l'auteur, présente avec lui bien des points communs, et sort même directement de ses premiers poèmes, pour acquérir dans la fiction romanesque une dimension et une épaisseur nouvelles : comme le dit Mutis, il avait besoin d'espace.
Inséparablement poète et romancier – « ma poésie a toujours été très narrative » – Álvaro Mutis naît à Bogota en 1923, passe ses jeunes années en Europe, et particulièrement à Bruxelles, où il fait ses études, avant de s'installer en 1956 au Mexique, qui sera désormais la base de ses incessants voyages. C'est à Buenos Aires qu'il publie ses deux premiers recueils de poèmes, La Balanza (1947) et Los Elementos del desastre (1953), le troisième, Los Trabajos perdidos, paraissant en 1961 à Mexico. D'un séjour en prison au Mexique – à la suite d'un conflit avec son employeur du moment, la Standard Oil de Colombie –, il avait entre-temps tiré Diario de Lecumberri (1960), récit de cette expérience fâcheuse. Dans ses livres suivants, recueils de textes qui sont souvent des poèmes en prose (Caravansary, 1981, et Los Emisarios, 1984), continue à se construire le personnage fascinant de Maqroll, qui, par sa fonction de gabier, est pour son créateur « un très beau symbole du poète [...] l'homme qui reste juché en haut du mât le plus élevé du navire pour voir l'horizon et pour annoncer les choses ». Paraissent alors successivement La Nieve del almirante (1986, La Neige de l'Amiral), Ilona llega con la lluvia (1988, Ilona vient avec la pluie), puis Un bel morir (1989), qui constituent une trilogie à laquelle il convient d'ajouter La Última Escala del Tramp Steamer (1988, La Dernière Escale du Tramp Steamer). On retrouvera la même logique et certains des personnages de ces romans – dont l'inévitable Maqroll – dans les textes suivants, Amirbar (1990), Abdul Bashur, soñador de navíos (1991, Abdul Bashur,le rêveur de navires) et Tríptico de mar y tierra (1993, Le Rendez-Vous de Bergen : Triptyque de Terre et de mer). Ce cycle romanesque s'inscrit dans la tradition des grandes sagas de la mer, et l'auteur y manifeste un authentique talent de conteur, auquel il doit assurément une part de son succès. Mais la vraie réussite de Mutis est d'avoir su créer un personnage inoubliable, qu'il faut considérer, sinon comme son double, du moins comme l'incarnation de son moi et le dépositaire de sa pensée et, bien sûr, de ses sentiments : c'est indéniablement lui-même qui s'exprime à travers les faits et les dires de son héros.
Ce gabier, intermédiaire entre l'auteur et ses lecteurs, grand lecteur lui-même, guetteur d'horizons, prophète perspicace, voyageur sans amarres dont les aventures ont la saveur de celles des frères de la côte de jadis – mais capable, lui, de méditer autant que d'agir –, mène en fait une quête de l'être, poursuit un véritable voyage intérieur vers la connaissance de soi et du monde. Son but atteint, il pourra mourir – au sens propre – en odeur de sainteté, en prenant l'étonnante apparence d'un fossile végétal.
La critique a unanimement été frappée par le rapport direct entretenu, chez Mutis, par la poésie et la fiction romanesque. En ce sens, Maqroll, qui, répétons-le, apparaît dès les premiers poèmes, est bien la projection dans l'univers narratif du[...]
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Écrit par
- Jean-Marie SAINT-LU : agrégé d'espagnol, maître de conférences honoraire à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
Classification
Média