AMAURICIENS
Disciples supposés d'un clerc qui enseignait la philosophie et la théologie à Paris, Amaury de Bène, les amauriciens, condamnés en 1209 et 1211, s'inscrivent plus exactement parmi les premiers adeptes d'un courant que l'Église condamnera plus tard sous le nom de Libre-Esprit.
En 1204, le pape condamne la proposition de maître Amaury, originaire de Bène, près de Chartres, selon laquelle « tout chrétien est tenu de croire qu'il est membre du Christ et qu'il a souffert avec lui le supplice de la croix ». Amaury, qui s'incline devant la décision pontificale, mourra en 1207. Deux ans plus tard, un délateur livre à la justice quatorze personnes, dont le secrétaire d'Amaury, plusieurs clercs, l'orfèvre Guillaume et quelques curés de villages situés non loin de Paris. Livrés au bras séculier par le concile de Paris, dix des accusés montent sur le bûcher le 19 novembre 1209 ; quatre sont condamnés à la prison à vie. Amaury, impliqué à titre posthume, est déterré et brûlé. En 1211, maître Godin d'Amiens est exécuté pour avoir défendu des idées amauriciennes. En 1215, Robert de Courçon, légat du pape et recteur de l'Université de Paris, confirme l'interdiction des œuvres d'inspiration amauricienne. Il englobe dans la même condamnation les livres naturalistes d'Aristote et le panthéisme de David de Dinant. C'est plus tard seulement que la pensée de Jean Scot Érigène sera tenue pour une des sources de la doctrine amauricienne. Celle-ci est une nouvelle fois condamnée par le concile du Latran (1215), qui la juge « encore plus insensée qu'hérétique ». Parmi les quatre-vingts personnes exécutées à Strasbourg la même année, on trouve, pour une majorité de vaudois, des individus qui affirment que « les péchés les plus grossiers sont permis et conformes à la nature ». L'opinion selon laquelle il est licite de « s'adonner à toute volupté sans nul besoin d'expier ou de se racheter » est signalée en Alsace et en Thuringe (1216), où Eckhart naîtra cinquante ans plus tard. Enfin, parmi les thèses débattues dans l'université et que condamnera l'évêque Étienne Tempier en 1277, plusieurs rappellent les positions amauriciennes.
De la proposition d'Amaury, il est certes possible d'inférer qu'à l'égal du Christ chacun est ressuscité en Dieu et acquiert une nature divine et impeccable. Mais les amauriciens — du moins certains — s'embarrassent peu de théologie et font preuve, plutôt, d'une sorte de sens commun, où les simples (les paroissiens des curés de villages) trouvent une approbation à leur recherche du plaisir. Dieu produit indifféremment les bonnes et les mauvaises choses. Celui qui découvre que Dieu accomplit tout en lui ne peut donc pécher. Il n'existe d'autre enfer ou d'autre paradis que l'ignorance ou la connaissance de cette vérité que Dieu est et agit en chacun. Une telle connaissance dispense des sacrements et de l'Église. Pour les amauriciens, « les enfants nés de leur sang ne sont pas privés des bienfaits du baptême dès l'instant qu'ils sont issus d'une relation charnelle avec des femmes de leur groupe ». Comme le feront plus tard les partisans du Libre-Esprit et les bégards, ils assimilent la charité à la relation amoureuse.
L'élément joachimite y apparaît pour la première fois dans le sens radical où le présentera en 1254 Gerardo da Borgo San Donnino : « D'ici cinq ans, tous les hommes seront spirituels, si bien que chacun pourra dire : Je suis l'esprit saint. » C'est peut-être l'apport de Guillaume l'Orfèvre, que l'accusation appelle « leur prophète ». Les théories de Godin évoquent davantage le panthéisme de David de Dinant, bien qu'il ne craigne pas d'avancer que Dieu étant dans la pierre comme dans le corps et dans la nature[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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- Écrit par Raoul VANEIGEM
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Jusqu'à plus ample information, il est d'usage de faire remonter le Libre-Esprit aux deux procès intentés, à Paris en 1209 et à Amiens en 1211, aux disciples supposés d' Amaury de Bènes, mort en 1207. Celui-ci s'était attiré la réprobation pontificale pour avoir affirmé que chaque homme est tenu de se...