AMBIGUÏTÉ, linguistique
Un mot ou un énoncé sont dits ambigus quand ils sont susceptibles d'avoir plusieurs interprétations. Cette définition intuitive étant très large, on s'efforce en linguistique de la préciser en circonscrivant, parmi tous les malentendus, équivoques et autres imprécisions du langage, virtuels ou effectifs, ceux dont la racine semble se situer dans la structure et dans le matériau même du système linguistique et dans ses lois de fonctionnement. On exclut ceux qui paraissent trop liés à des faits de situation particuliers ou à des problèmes d'interprétation relevant de l'exégèse, de la lecture entre les lignes ou d'un besoin supplémentaire d'information. Cette démarche, qui ne va ni sans difficultés, ni sans quelque arbitraire, aboutit à reconnaître comme ambigu par exemple je ne serai pas le premier président à perdre une guerre (est-ce à dire que je la perdrai ou non ?), ou un jeu de mots comme c'est le premier vol de l'aigle (à propos de Napoléon III confisquant les biens de la famille d'Orléans), mais non telle phrase conventionnelle dont on ne sait « comment la prendre », ni tel propos ou texte suscitant des controverses, ni tel énoncé simplement vague (comme Pierre et Paul sont allés à Paris, qui ne dit ni quand ni comment — alors que telle autre langue préciserait obligatoirement, par exemple, s'ils sont allés à pied ou en voiture).
Ainsi délimitées, les ambiguïtés sont traditionnellement et généralement considérées comme des imperfections accidentelles du langage et des dangers pour la communication, sauf effet particulier (par exemple, jeu de mots). Le cas type en est l'homonymie, au niveau du mot (bière = « boisson » ou « cercueil » ou au-delà : /selkilem/ = « celle qu'il aime » ou « celle qui l'aime » ; quel auteur cite ce conférencier ? laisse incertain : quel est le sujet et l'objet (homonymie de construction). Dans ces cas se trouve posé au récepteur le problème d'identifier les unités et leurs relations à partir des indices du discours (contexte, intonation, etc.).
À l'homonymie s'oppose classiquement la polysémie, où le problème est d'identifier la valeur d'une unité (par exemple de devoir : obligation morale ou nécessité matérielle ?) ou d'une construction : l'amour de Dieu peut signifier « l'amour que j'ai pour Dieu » ou l'inverse ; je cherche un produit contre la toux peut se comprendre comme recherche permanente (dans un laboratoire) ou demande ponctuelle (dans une pharmacie) d'un produit connu ou non, etc. Certains (notamment en grammaire générative) tendent à ramener la polysémie au modèle de l'homonymie, en assignant à l'énoncé ambigu autant de structures sous-jacentes que d'interprétations possibles. D'autres (plus en accord avec le structuralisme européen) considèrent les différentes interprétations comme secondes par rapport à une valeur fondamentale qui définit pour chaque signe ou structure un signifié pouvant comporter une marge d'indétermination levée ou non par le discours.
Le problème est qu'en effet il est possible et vrai de dire que par exemple l'amour de Dieu a à la fois un seul sens (« l'amour ayant rapport à Dieu ») et plusieurs possibles : la détermination de la signification a toujours quelque chose de relatif et de variable selon les sujets. Les oppositions entre ambigu et vague, entre homonymie et polysémie, et plus généralement entre unité de sens (univocité) et pluralité de sens (plurivocité) ne peuvent donc avoir un caractère absolu. En conséquence, l'ambiguïté n'est pas réductible à une série d'accidents marginaux (même s'il en existe) ; elle apparaît plutôt pour l'essentiel comme une propriété inhérente au système symbolique qu'est le langage, qui ne ruine[...]
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Écrit par
- Pierre LE GOFFIC : professeur de linguistique française à l'université de Paris-III
Classification
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