MODIGLIANI AMEDEO (1884-1920)
Affirmation d'un style (1914-1919)
Arthur Pfannstiel a catalogué trois cent cinquante-deux toiles entre 1914 et 1919 (Ceroni cent quatre-vingt-douze seulement, car il a répertorié cent soixante faux). Ces toiles se rapportent à un seul thème, celui de la figure humaine : portraits de sa femme, de ses amis ou d'inconnus peints au hasard d'une rencontre. Il semble que ces différents portraits se ressemblent tous étrangement. Comme on l'a d'abord constaté dans ses dessins et dans ses sculptures, dont l'influence ne cessera de se faire sentir dans son œuvre peinte, Modigliani recherche en effet une certaine beauté abstraite, synthèse de son idéal formel et de son expérience du modèle. Ainsi la mise en page est-elle presque toujours semblable : les personnages sont en général vus de face, assis, les mains croisées ; toute l'attention est concentrée sur le visage ; les fonds unis, indéfinis, servent de repoussoir, le corps n'étant souvent que trop sommairement esquissé. En effet, ce qui préoccupe Modigliani, c'est l'effet plastique de la ligne, son relief ; le modelé n'est que très légèrement indiqué et la couleur réservée, harmonieuse, sans épaisseur, car elle n'est là que pour « agrémenter » le dessin. Ainsi le profil de Lunia, son long cou se détachent-ils avec la force et la netteté des portraits florentins ; ainsi encore, dans le beau portrait de Jeanne Hébuterne devant la porte (1919), courbes et contre-courbes se marient amoureusement. C'est dans la série des nus, exécutés en 1916 et 1917, que l'on peut admirer toute la puissance expressive de la ligne, toute la chaleur sensuelle qui en émane. Cependant, si Modigliani est sensible avant tout au rythme, à la poésie des lignes, il sait aussi en rompre le contour, l'adapter à la psychologie de chacun. Ainsi fait-il ressortir l'ironie anguleuse de Jean Cocteau (1916), l'assurance triomphante de Paul Guillaume (1916), l'esprit torturé de Soutine (1917). Par le dépouillement, par la stylisation, Modigliani peut atteindre, dans ses meilleures œuvres, à une véritable monumentalité, d'un hiératisme serein comme dans L'Homme à la pipe (1918), le portrait du Jeune Apprenti (1918) et dans son Autoportrait (1919). Ses portraits d'enfants sont d'une simplicité et d'une sobriété bouleversantes.
Toutefois, chez Modigliani, la grâce peut devenir mièvrerie, maniérisme, et la monumentalité, rigidité. Ainsi, un certain nombre de déformations élégantes produisent une impression de monotonie ou de gratuité : cous d'une longueur démesurée, épaules tombantes, yeux en amande, mains exagérément effilées. Les corps semblent trop souvent désincarnés, plats, comme découpés dans du papier. En outre, « l'expression de muette acceptation de la vie » qui définit, selon Modigliani lui-même, l'âme de ses modèles, leur regard voilé, vide, peut lasser qui goûte des émotions plus fortes. Modigliani n'est pas un révolutionnaire, il n'enseigne rien, il n'a ni ascendance, ni descendance directes, son art lui est propre. C'est cette singularité, si peu conforme à l'esprit scientifique de son siècle, qui fait le prix et le charme de son œuvre, même si les effets en sont un peu faciles parfois et les perspectives limitées.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude SCHWEISGUTH : licenciée en art et archéologie, documentaliste au Centre national d'art contemporain, Paris
Classification
Médias
Autres références
-
BIOGRAPHIES D'ARTISTES
- Écrit par Martine VASSELIN
- 2 389 mots
La vie d'artiste est un genre littéraire d'une grande ancienneté, abondamment illustré depuis la Renaissance. On en fait remonter l'origine aux commentateurs de Dante qui ont élucidé et développé la mention lapidaire des noms de Cimabue et de Giotto insérée dans la Divine...
-
PARIS ÉCOLES DE
- Écrit par Claire MAINGON
- 2 622 mots
- 1 média
...première école de Paris peut s'étendre à quelques autres artistes étrangers qui ont vécu dans la même ambiance bohème du Paris du début du siècle : l'Italien Amedeo Modigliani (1884-1920), le Hollandais Kees Van Dongen (1877-1968), le Biélorusse Chaïm Soutine (1893-1943), le Russe Marc Chagall (1887-1985)... -
PORTRAIT
- Écrit par Galienne FRANCASTEL
- 6 166 mots
- 15 médias
...quel objet, qui aide l'artiste à extérioriser ses aspirations et ses perceptions. Elle sert à prouver et à expérimenter. Même quand il s'agit d'un « portraitiste » spécialisé, telModigliani, qui veut prouver – et le prouve effectivement – qu'une déformation arbitraire n'entame pas la ressemblance. -
RUCHE LA
- Écrit par Guy BELOUET
- 817 mots
- 1 média
La Ruche est à Montparnasse ce que le Bateau-Lavoir fut à Montmartre : un foyer d'artistes (souvent misérables) rassemblés pendant la première moitié du xxe siècle dans des ateliers improvisés. Le Bateau-Lavoir a été détruit par un incendie en 1972 alors qu'il venait d'être classé...