AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE
Modalités de l'aménagement linguistique
De fait, la compréhension de la notion d'aménagement linguistique n'a cessé de se diversifier, et il est possible de l'articuler globalement aujourd'hui de la façon suivante :
— l'aménagement du statut des langues ; il inclut le type de statut, constitutionnel, législatif, juridique, réglementaire (usage de la ou des langues, présence de ces langues dans la vie publique et administrative, apprentissage dans l'enseignement, utilisation dans les examens, etc.) ;
— l'aménagement du corpus des langues (du point de vue graphique : création d'une écriture et d'un système de transcription, changement d'un type d'écriture à un autre, etc.), du point de vue orthographique (fixation de l'orthographe, création de grammaires, mise à jour, etc.) et du point de vue du lexique (création de lexiques, dictionnaires, terminologies spécialisées et de langue générale, harmonisation toponymique, etc.) ;
— l'aménagement de la circulation des langues dans les circuits de l'édition, des radios et télévisions, publicité, signalétique, etc.
En ce qui concerne le statut de la ou, le plus souvent, des langues, on constate qu'il est extrêmement varié : une langue peut avoir statut constitutionnel ou non, au niveau d'un État souverain, d'un État fédéré, d'une entité non souveraine, etc. Force est de remarquer que l'une des tendances actuelles est à l'inscription de dispositions linguistiques spécifiques dans les Constitutions en raison de plusieurs facteurs déstabilisateurs de langues, tels que les fortes migrations (États-Unis), l'intégration économique (A.L.E.N.A., Union européenne), l'expansion et la généralisation des modèles culturels. Le fait que la France, par exemple, ait décidé en 1992 d'indiquer dans sa Constitution que “la langue de la République est le français” n'est pas sans portée sur l'autorité des lois et des règlements linguistiques qui s'y rapportent. De plus, une langue peut être constitutionnelle, officielle (portée par une ou plusieurs lois), co-officielle d'une ou de plusieurs autres, nationale, voire bénéficier de plusieurs statuts : c'est le cas de la Suisse, par exemple, où allemand, français, italien et romanche sont langues nationales, les trois premières seulement étant langues officielles. Les problèmes complexes que posent les questions de droit linguistique ont ainsi conduit, dans un pays comme le Canada, à la création d'une spécialité nouvelle, celle de jurilinguiste.
Pour ce qui est du corpus de la langue, le choix de transposer en écriture une langue uniquement orale est lui-même une décision d'ordre politique, l'écriture retenue dépendant de multiples facteurs, tant culturels ou linguistiques qu'économiques, et qui peuvent être aussi élémentaires que la prise en compte du parc de machines à écrire disponibles dans le ou les pays concernés. Il s'agit aussi de créer et de fixer une orthographe (pour qu'il y ait ortho-graphe, il faut qu'il y ait norme, notamment grammaticale, d'où la création de grammaires), elle-même soumise à refontes, réformes, rectifications, comme ce fut le cas pour le français en 1990, ou pour le néerlandais en 1994. Le lexique peut être lui aussi un champ d'intervention important. L'une des grandes préoccupations contemporaines est celle du développement des vocabulaires de spécialité, dont il faut définir, traduire, harmoniser les termes aux fins de diffusion des produits et des savoirs, et de transferts de technologies. Il est nécessaire pour ce faire de développer la constitution de lexiques, dictionnaires, banques de données multilingues, etc. Le débat peut aussi porter sur la langue générale, avec le souci de sauvegarder l'identité de la langue, comme[...]
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Écrit par
- Loïc DEPECKER : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne
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