CASTRO AMÉRICO (1885-1972)
L'œuvre d'Américo Castro s'accomplit en deux étapes : de 1910, date de ses premiers écrits, jusqu'à 1938 ; et de 1938 à sa mort. Dans sa première étape, Américo Castro s'intéresse surtout à la linguistique, à la philologie et à la littérature, et sa méthodologie s'oriente tantôt en fonction du positivisme fin de siècle, tantôt suivant une méthode fondée sur les catégories, propre à l'histoire des idées. Le modèle, dans les deux cas, est allemand et l'image tutélaire respectée et suivie est celle de son maître Menéndez Pidal. Bien qu'il ait par la suite renié cette orientation du travail intellectuel, Américo Castro a produit dans cette période des œuvres importantes ; ainsi, La Pensée de Cervantès (1925), œuvre classique du cervantisme que l'auteur n'accepta de republier qu'en 1972, sous la pression des éditeurs, en spécifiant bien dans les pages liminaires qu'elle ne reflétait plus du tout son point de vue sur Cervantès. Cette première étape peut être qualifiée de vision européiste du cas espagnol.
La seconde étape, au contraire, met en relief la singularité du cas espagnol. Elle est plus spécialement inspirée par la « philosophie de la vie » de Dilthey et de Ortega y Gasset. En 1938, Américo Castro, pénétré de l'importance du facteur arabe dans l'histoire espagnole, commence une révision de plus en plus approfondie de tout ce qu'il avait jusqu'alors tenu comme juste sur l'histoire et la culture espagnoles. La pièce maîtresse qui fait état de cette vision nouvelle est L'Espagne dans son histoire (1948), œuvre qui sera ensuite profondément remaniée jusque dans son contenu et apparaîtra en 1954 sous le titre de La Réalité historique de l'Espagne. Une profonde et dernière modification lui sera encore apportée en 1962. La thèse contenue dans cet ouvrage est complétée et développée dans une douzaine d'œuvres mineures et à travers de nombreux articles de revues. L'Opus magnum a été traduit en français, en allemand, en anglais et en italien. Cette seconde étape est la plus vivante et la plus polémique ; elle a ouvert de larges et riches perspectives à l'historiographie espagnole et aux études littéraires ; à moindre échelle, les études linguistiques de l'espagnol en ont aussi tiré bénéfice.
Une double ligne de réflexion caractérise cette deuxième étape : Comment s'est-elle structurée, en particulier dans le cas espagnol ? Qu'est l'histoire en général ? Pour répondre à la première interrogation, Américo Castro voit au centre des res gestae un agent historique qui modèle un style de vie, au fur et à mesure des réponses qu'il apporte aux circonstances problématiques auxquelles il doit faire face. Ce style de vie, qui donne à cet agent historique un profil singulier face aux autres nations, Castro l'appelle morada vital (morada signifie demeure, maison. L'expression est une métaphore : de même qu'un peuple a un habitat déterminé qui caractérise son mode d'occupation du sol, il a aussi un habitat spirituel, il structure son mode de vie d'une manière spécifique et caractéristique). Pour définir le sentiment individuel d'appartenance au style de vie particulier d'un groupe humain déterminé, il crée le mot vividura (à partir de l'infinitif vivir, vivre et du suffixe duratif -ura). Les agents historiques n'existent pas depuis toujours : ils ont dans le temps une origine déterminée et peuvent disparaître de l'histoire. Le peuple proprement espagnol ne commence à être possible qu'à partir de l'invasion de la Péninsule par les Arabes en 711, Les Wisigoths, les Romains, les Ibères, les Phéniciens déterminèrent des modes de vie propres à d'autres agents historiques — non à l'espagnol —, quoique ces peuples aient occupé le même espace géographique.[...]
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Écrit par
- Guillermo ARAYA : auteur
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