Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

AMÉRINDIENS Hauts plateaux andins

Indiens et nation

Au début du xxe siècle, en Bolivie, au Pérou et en Équateur, l'incorporation de l'Indien et du Métis à la société nationale donna lieu à des débats politiques très vifs. Plusieurs écrivains refusèrent l'infériorité « raciale » de l'Indien proclamée par les élites, et s'engagèrent dans une littérature militante en faveur des indigènes. Pour ces intellectuels, la nation nouvelle devait être constituée par les deux « races pures », les Blancs et les Indiens. Le métissage était synonyme de dégénérescence et le « cholo », le prototype de tous les vices. Au Pérou, Luis Valcárcel et José María Mariátegui reprirent les arguments des indigénistes dans une optique marxiste. Pour ce dernier, seule une révolution socialiste pouvait restituer à l'Indien ses droits sur la terre. Dans L'Empire socialiste des Incas (1928), Louis Baudin exaltait les mécanismes de réciprocité et de redistribution des Incas qui préfiguraient une société communiste idéale. Les photos du Cuzquénien Martin Chambi rehaussèrent la dignité de l'Indien, même du plus misérable. Cependant, dans les années 1930, sous l'influence du parti populiste Alliance populaire révolutionnaire américaine (A.P.R.A.), l'indigénisme péruvien incarné par Victor Raúl Haya de la Torre se montra plus favorable aux sang-mêlé. Après la Seconde Guerre mondiale, la référence à la race fut abandonnée en raison de son instrumentalisation par l'idéologie nazie. L'éloge du métissage était une façon de montrer les différences entre l'Amérique latine et les États-Unis. En 1930, Uriel García publia un essai intitulé L'Indien nouveau, qui ne se définissait plus par sa race mais par l'appartenance à la sierra, les montagnes de la Cordillère avec lesquelles d'autres pouvaient aussi s'identifier. Pour lui la musique andine, notamment le huayno, était identitaire et favorisait la cohésion nationale.

Un indigénisme nouveau culmine en 1944 avec l'instauration du Jour du Cuzco, fête qui devrait être célébrée chaque 24 juin, date qui correspondait au solstice d'hiver et par conséquent à la fête inca de l'Inti Raymi (fête du dieu Soleil), associée depuis la conquête à la Fête-Dieu ou Corpus Christi. Ce festival faisait de Cuzco le berceau de l'âme péruvienne et des Incas la quintessence des Amérindiens. Tous les ans, ce festival a lieu sur l'esplanade de la forteresse de Sacsayhuamán, qui surplombe la ville et qui fut défendue jusqu'au bout par les Incas rebelles de Manco Inca en 1536. Cette fête est devenue aujourd'hui emblématique de l'indianité, aussi bien au Pérou qu'au Chili ou en Argentine. Ce n'est sans doute pas un hasard si le grand soulèvement organisé par la Confédération des Nations indiennes de l'Équateur indien en 1990, provoquant la chute du gouvernement, eut lieu la veille de l'Inti Raymi.

Les traditions réinventées ou remaniées pour répondre à un besoin identitaire et politique ne sont qu'un aspect de l'univers culturel andin. Dans le monde rural, éloigné de ces rituels reconstruits, subsistent encore des pratiques anciennes qui remontent à des temps préhispaniques et qui ont intégré ou non des éléments chrétiens. Dresser l'inventaire de cette culture andine est une tâche difficile car les variations sont grandes d'une nation à l'autre. Au Pérou, par exemple, dans la région de Huarochiri, on continue à utiliser les cordelettes à nœuds (quipu) de l'époque incaïque, pour recenser les animaux, les obligations, les dettes. L'organisation dualiste des villages n'a plus les mêmes fonctions que par le passé mais se maintient dans beaucoup de villages du centre-sud des Andes à des fins rituelles et festives. Ailleurs, on observe la survivance fragmentaire de rituels préhispaniques[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, membre de l'Institut universitaire de France

Classification

Autres références

  • ALLEN PAULA GUNN (1939-2008)

    • Écrit par
    • 566 mots

    Poétesse, romancière et essayiste américaine, Paula Gunn Allen mêle dans son œuvre les influences du féminisme et de ses racines amérindiennes.

    Paula Gunn Allen, née Paula Marie Francis le 24 octobre 1939 à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, est la fille d'un Américain d'origine libanaise et d'une...

  • AMAZONIE

    • Écrit par
    • 3 273 mots
    • 6 médias
    Les populations amazoniennes sont-elles à même de sauvegarder leur milieu ? Les Amérindiens sylvicoles, largement décimés depuis la colonisation, totalisent à peine un million de personnes (estimations des années 2000) pour quelques centaines de peuples culturellement différenciés. Ces groupes, restés...
  • AMÉRIQUE (Structure et milieu) - Géographie

    • Écrit par , et
    • 18 105 mots
    • 9 médias
    ...maintes hésitations, reconnaître le statut d'homme (bulle du pape Paul III en 1537), se fondent donc sur la Bible et les textes des auteurs grecs et latins. C'est ainsi que les « Indiens » d'Amérique sont tour à tour considérés comme descendants des Assyriens, des Phéniciens, des Égyptiens, des Hébreux, des...
  • AMÉRIQUE (Histoire) - Amérique espagnole

    • Écrit par
    • 21 855 mots
    • 13 médias
    ...main-d'œuvre, car les colons entendent bien ne pas travailler de leurs mains les terres et les mines. Étrangers aux conceptions européennes du travail, les Indiens, par ailleurs pressurés et exploités, fuient les entreprises espagnoles. Le gouverneur organise bientôt le travail forcé en concédant aux colons...
  • Afficher les 32 références