AMÉRIQUE (Histoire) Amérique espagnole
C'est une expression relativement récente que celle d'« Amérique espagnole » pour désigner les domaines de la couronne de Castille dans le Nouveau Monde. Les Espagnols eux-mêmes n'ont longtemps parlé, officiellement, que des « Indes, îles et terres fermes de la mer Océane » (Indias, islas y tierra firme delmarOceano), plus simplement des « Indes occidentales », ou des « Indes » tout court.
Il ne s'agit pas là d'une simple curiosité de vocabulaire. Les Indes ne constituent pas une colonie de l'Espagne mais un ensemble de « nouveaux royaumes », égaux en principe aux royaumes péninsulaires. Le même souverain est roi des Indes, comme il est roi des Espagnes (rexHispaniarum, rexIndiarum) et les habitants des Indes sont ses libres « vassaux » (vasallos de los reinos de las Indias). L'empire pluraliste des Habsbourg d'Espagne n'est pas fondé sur l'inégalité du « pacte colonial ».
L'usage de plus en plus fréquent des termes « Amérique » et « américain » à partir du milieu du xviiie siècle coïncide avec un changement de perspectives. Pour l'administration de plus en plus centraliste des Bourbons d'Espagne, influencée sans doute par les conceptions anglaises et françaises, l'Amérique devient avant tout une colonie dont les intérêts sont subordonnés à ceux de la métropole. Pour les Blancs nés aux Indes, ou créoles (criollos), proclamer leur qualité d'Américains – ainsi dans un texte célèbre de 1775 : Defensa de los Americanos– c'est affirmer leur appartenance à une communauté radicalement différente de la société espagnole.
Le caractère le plus original de la colonisation espagnole du Nouveau Monde est sans doute sa durée et son action en profondeur. L'histoire des Indes occidentales commence avec le deuxième voyage de Christophe Colomb, car le premier serait resté un exploit maritime sans conséquence, ou une simple aventure commerciale, si la politique de l'État castillan et, plus encore, l'action collective de la nation n'avaient abouti à fonder, dans le sillage du découvreur, de nouvelles Espagnes au-delà des mers. Le voyage des trois caravelles de 1492 est un coup d'audace servi par un hasard heureux. Avec l'expédition qui lève l'ancre le 25 septembre 1493 – quinze cents hommes, sur dix-sept navires qui emportent aussi des chevaux, des semences, des plants, des outils, tout l'héritage en somme de l'Ancien Monde – commence vraiment la colonisation de terres dont on ignore encore qu'elles sont, non pas les rivages orientaux de l'Asie, mais bien le seuil d'un nouveau continent, que la bulle pontificale Inter caetera(1493) puis le traité de Tordesillas avec le Portugal (1494) réservaient désormais à l'expansion castillane. C'est l'entreprise la plus grandiose et la plus originale qu'un peuple d'Occident ait jamais menée outre-mer ; celle aussi qui a laissé le plus durable héritage.
En tant que structure politique et mouvement de colonisation, l'Amérique espagnole aura duré plus de trois siècles. L'empire espagnol d'Amérique a résisté aux assauts renouvelés des puissances maritimes, qui n'ont jamais réussi à l'entamer sérieusement. À la fin du xviiie siècle, il n'a pas encore épuisé sa force d'expansion. Pour éliminer du continent américain la puissance politique espagnole, il ne faut pas moins de quinze années de guerres civiles, à la faveur des conflits suscités par la Révolution française et l'Empire napoléonien. Le 24 août 1821 – trois cents ans après la capitulation de Tenochtitlan, à quelques jours près – les traités de Córdoba reconnaissent en fait l'indépendance du Mexique, tandis que l'Amérique centrale proclame la sienne en septembre. Le 9 décembre 1824, la défaite de l'armée espagnole[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre BERTHE : maître assistant à l'École pratique des hautes études, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales
Classification
Médias
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