AMÉRIQUE LATINE, économie et société
La société
Le monde rural
La production agricole a augmenté rapidement en Amérique latine dans les dernières décennies, aussi bien la production vivrière que les produits d'exportation. La production alimentaire par habitant a également progressé, avec des situations très diverses selon les pays, des écarts qui s'expliquent par le caractère encore archaïque de la répartition foncière du sous-continent.
Celle-ci se caractérise par un « couple maudit » (Alain Rouquié), celui que forment les latifundios, de grands domaines insuffisamment exploités, avec les minifundios, à peine capables par la taille d'assurer la survie d'une famille. Entre les deux, les exploitations de taille moyenne occupent une place importante, mais moindre qu'en Europe ou en Amérique du Nord. Bien que sur le déclin, en termes d'importance et de pouvoir, les latifundios et les grands propriétaires restent un aspect caractéristique du monde rural latino-américain. Au Brésil par exemple, près de la moitié des terres sont possédées par 1 p. 100 des exploitants (contre 15 p. 100 en France) et plus de 50 p. 100 des paysans possèdent moins de 3 p. 100 des terres. L'origine de cette inégalité foncière remonte aux temps coloniaux. Par un édit de 1503, Isabelle la Catholique crée l' encomienda(commanderie), qui assure aux premiers conquistadors un quota d'Indiens dont ils pouvaient exiger tribut et travail gratuit. Le plus illustre de ces conquistadors, Hernán Cortés, s'est ainsi vu attribuer, en 1529, 60 000 kilomètres carrés dans la vallée d'Oaxaca et environ 100 000 âmes. Ce système sera la cause directe de l'inégalité foncière et de l'exploitation de la main-d'œuvre dans un cadre féodal. Bien qu'officiellement supprimé par Charles Quint, à la suite de nombreux abus, il va se prolonger jusqu'à nos jours sous des formes variées, rétablissant en fait, avec le péonage, le servage médiéval. Les Noirs prendront la place des Indiens au Brésil (l'esclavage y commence dès 1538, pour n'être aboli qu'en 1888) et dans les Caraïbes.
Dans les premiers temps de la colonie, le latifundio joue un rôle social nécessaire. Les régions sont immenses, isolées, très peu peuplées ; l'Espagne et le Portugal ont eux-mêmes peu d'habitants et donc peu de colons à expatrier : le grand domaine, comme dans l'Europe du haut Moyen Âge, permet à de petits groupements humains d'assurer leurs besoins alimentaires en circuit fermé. Mais, par la suite, après l'indépendance, le latifundio va se renforcer et devenir un frein au développement. Les techniques agricoles restent longtemps archaïques (cultures sur brûlis, houe, jachère...), car le latifundio n'est pas une cellule économique rationnelle cherchant à maximiser son profit. La terre et l'exploitation de la main-d'œuvre donnent au possédant des revenus élevés, mais aussi prestige et influence politique. Les oligarchies terriennes encore influentes au sein des pouvoirs politiques actuels proviennent de cette domination. En outre, le latifundio est divisé en petites exploitations de tenanciers dépendants occupés à des cultures surtout vivrières pour eux-mêmes. Moins de 10 p. 100 des terres y sont cultivées, le reste est livré à l'élevage extensif. Les très faibles productivités et rendements des latifundios expliquent les difficultés alimentaires longtemps rencontrées par de nombreux pays latino-américains : sous-alimentation, malnutrition, nécessité d'importer des denrées dans les pays andins, au Venezuela, au Mexique et dans les Caraïbes.
La redistribution des terres par des réformes agraires s'est imposée à la faveur de révolutions ou de basculement du pouvoir à gauche, au Mexique (1917), en Bolivie (1953), à Cuba (1959) et au Pérou (1968), mais elle s'est heurtée ailleurs à l'opposition[...]
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Écrit par
- Jacques BRASSEUL : professeur émérite des Universités en sciences économiques
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Médias
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