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AMÉRIQUE LATINE La question indienne

Les mouvements indianistes : une demande d'intégration différente

Femmes quechua, Équateur - crédits : John Beatty/ Getty Images

Femmes quechua, Équateur

Le poids politique des Indiens n'est pas proportionnel à leur poids démographique. L'inverse semble même vrai, car à l'exception de l'Équateur et de la Bolivie, c'est dans les pays où les Indiens sont largement minoritaires (Mexique, Colombie) qu'ils acquièrent une visibilité particulière sur la scène politique. Les conditions d'émergence d'un mouvement indien sont diverses ; néanmoins, elles ont toutes pour point commun la crise généralisée du modèle national-populiste, qui conférait à l'État un rôle central dans le développement des sociétés nationales. La transformation de l'économie après la Seconde Guerre mondiale et les contrecoups des deux chocs pétroliers ont brisé la dynamique d'industrialisation et accentué la dépendance des économies latino-américaines, restées largement exportatrices de matières premières. Les États de la région sont incapables de satisfaire les espoirs suscités par les politiques de développement autocentré, menées depuis l'entre-deux-guerres. L'ascenseur social se bloque, frustrant les aspirations de générations entières. Les enfants des Trente Glorieuses latino-américaines vont constituer la base de mouvements qui se forment en dehors des canaux corporatistes traditionnels. L'État – en proie à la crise de la dette dès le milieu des années 1970 –, et les partis dominants n'ont plus les moyens d'entretenir leur vastes réseaux clientélistes et corporatistes. De nouvelles organisations au discours non plus « de classe » mais identitaire surgissent au cours de cette décennie sur les ruines de l'État développementaliste et corporatiste.

De nombreuses organisations régionales émergent ainsi au Mexique (dans le centre et le sud du pays), au Guatemala, au Nicaragua, mais surtout en Colombie, en Équateur et en Bolivie, où des coordinations ou autres fédérations de « nationalités indigènes » sont formellement constituées. Au-delà de leurs spécificités, ces mouvements sont porteurs d'une même revendication d'intégration et non de sécession, comme une analyse un peu trop hâtive – et certains courants indianistes ultraminoritaires – a pu le laisser entendre. Au fondement de leurs demandes se trouve l'exigence d'une reconnaissance qui permette aux Indiens de maîtriser leur propre destin. Il ne s'agit pas de refuser la modernisation ou de s'opposer au développement, mais de participer à leur définition et à leur production. L'insistance est donc mise sur l'autonomie non pas comme une concession de la part du pouvoir central, mais comme un droit fondamental reconnu dans la Constitution et réglementé dans les lois secondaires.

L'affirmation de la différence va systématiquement de pair avec une exigence de participation aux décisions qui concernent l'ensemble de la société et non seulement les Indiens. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, la demande d'autonomie est toujours accompagnée d'une demande d'accès à la représentation politique, aux niveaux provincial et national. Rares sont les mouvements qui rejettent radicalement l'idée de la participation aux élections, en tant qu'électeurs et candidats. L'appel à l'« unité dans la diversité », véritable slogan des organisations indiennes d'Amérique latine, prouve à quel point celles-ci souhaitent inscrire leurs revendications dans le répertoire de l'intégration plutôt que dans celui de la séparation. Mais les mouvements indiens ne sont pas dépourvus de tensions et de contradictions, si bien que les tendances ethnicistes, bien que minoritaires, sont toujours présentes. L'un des exemples les plus récents est celui du parti Movimiento Indio Pachakuti (M.I.P.), en Bolivie, dont le dirigeant, Felipe Quispe, appelle à la guerre contre les « Blancs » et propose la création d'un État[...]

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Femmes quechua, Équateur - crédits : John Beatty/ Getty Images

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