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AMÉRIQUE LATINE La question indienne

Émergence d'un modèle politique multiculturel

Indiens Cuna (Panamá) - crédits : Bettmann/ Getty Images

Indiens Cuna (Panamá)

Au début des années 1990, les Parlements du Mexique, de la Colombie et de la Bolivie entérinent la convention 169 de l'O.I.T. (Organisation internationale du travail) sur les droits des peuples indigènes et approuvent les initiatives gouvernementales de réforme constitutionnelle visant à reconnaître le caractère pluriculturel et pluriethnique des trois nations. D'autres pays suivent le même chemin les années suivantes (Guatemala et Équateur en 1998, Venezuela en 1999). De nouvelles législations en faveur des Indiens sont mises en œuvre, dans le domaine de l'éducation, des droits sur la terre, de l'accès à la justice et à la représentation politique (Colombie, Équateur, Venezuela). Enfin, des degrés variables d'autonomie politique locale (le plus souvent aux niveaux municipal et inframunicipal) sont reconnus aux communautés indiennes. Quelques pays ont été des précurseurs dans ce domaine, ainsi le Panamá, avec l'attribution de droits territoriaux aux Kuna, dès 1953 (création des comarcas gouvernées par les autorités indiennes), ou encore le Nicaragua avec l'établissement de régions autonomes multiethniques, sur la côte atlantique, en 1987. Mais ces États, dont les populations indigènes restent ultraminoritaires et localisées, n'ont pas approuvé la convention 169 de l'O.I.T. et n'ont pas reconnu, officiellement, le caractère multiculturel de leurs nations. En revanche, les changements normatifs et institutionnels du début des années 1990 constituent une évolution radicale pour des pays où l'État-nation a été fondé sur les principes républicains et universalistes hérités du xixe siècle, selon lesquels la loi doit être la même pour tous, sans distinction de « race » ni de classe.

Les mouvements indiens ont joué dans ce virage multiculturaliste un rôle fondamental sur les scènes tant internationale que continentale et nationale. Sans leurs mobilisations et sans leur capacité à investir les Assemblées constituantes des pays concernés, les réformes n'auraient pas été aussi marquées en ce qui concerne les droits des peuples originaires. Le cas le plus exemplaire est celui de la Colombie où, malgré leur faible poids démographique (moins de 2 p. 100 de la population totale), les Indiens, fortement organisés aux niveaux régional et national, ont eu une influence considérable dans les décisions de l'Assemblée constituante de 1991. En revanche, les Indiens du Brésil, ultraminoritaires et sans organisation supracommunautaire, n'ont pas influencé l'élaboration de la Constitution de 1988, qui reste cependant l'une des plus avancées en ce qui concerne le droit des minorités ethniques – afro-américaines – et la démocratie locale. Mais il convient de ne pas surestimer le rôle des mouvements indiens au détriment de deux autres facteurs : le rôle des gouvernements nationaux, en quête d'une légitimité mise à mal par la crise économique (Bolivie, Équateur) et l'incapacité des partis traditionnels à relayer les demandes sociales d'une majorité de la population, en proie à la pauvreté et aux inégalités croissantes (Mexique, Colombie).

Trente ans après la formation des mouvements indiens et quinze ans après les réformes constitutionnelles multiculturalistes, le bilan reste néanmoins mitigé. L'intégration sociale et politique des Indiens demeure inégale. Des résultats encourageants sont obtenus en Colombie (sur fond de guerre civile) ou bien en Bolivie, où Evo Morales, un dirigeant syndical d'ascendance aymara, est élu président dès le premier tour – une première dans l'histoire démocratique de ce pays –, le 18 décembre 2005. Ailleurs, en revanche, l'entrée en politique des Indiens laisse un goût amer. En Équateur, l'alliance entre le mouvement indien et des colonels de l'armée de terre tourne au fiasco[...]

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Femmes quechua, Équateur - crédits : John Beatty/ Getty Images

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Indiens Cuna (Panamá) - crédits : Bettmann/ Getty Images

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