AMÉRIQUE LATINE Rapports entre Églises et États
Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb venait à peine de poser le pied sur une plage des Amériques qu'il y plantait une croix au nom des Rois catholiques. Le geste était symbolique. Il a marqué une hiérarchie de rapports entre souverains et autorités religieuses, un lien étroit entre politique et religion, qui se sont perpétués en Amérique latine pendant plusieurs siècles.
Durant son pontificat, Jean-Paul II a privilégié l'Amérique latine. De 1979 à 1998 il a, en tant que chef spirituel et chef d'État, visité un à un tous les pays sud-américains. Ces voyages ont été précédés ou accompagnés de gestes diversement appréciés.
Fondateur de l'Église de l'esprit saint pour l'unification du christianisme mondial, Sun Myung Moon a lui aussi sillonné l'Amérique latine pour gagner des adeptes disputés à l'Église de Rome et proposer une nouvelle version, anticommuniste, de l'alliance du trône et de l'autel.
La guerre froide a stimulé les concurrences religieuses. L'Église catholique, ou du moins la base de sa hiérarchie, s'est souvent retrouvée dans le camp des pauvres et des révoltés, à Cuba en 1959 comme au Nicaragua en 1979 ou au Salvador dans les années 1980. De leur côté, les Églises protestantes fondamentalistes (pentecôtistes), tout comme les mormons, ont prospéré à partir des années 1970, époque des dictatures militaires dites de sécurité nationale.
Mais le positionnement des diverses confessions comme celui des pouvoirs n'a jamais obéi à des mécanismes automatiques. L'Église catholique argentine a soutenu la junte militaire qui avait pris le pouvoir en 1976. Des protestants à Cuba ou au Nicaragua ont appuyé des gouvernements révolutionnaires. Jean-Paul II, qui a béatifié d'une façon provocatrice pour beaucoup d'autorités latino-américaines, ne passe pas pour un contestataire de l'ordre établi.
L'ambiguïté en la matière a été et est encore la règle. Catholiques et protestants ont eu un rapport fluctuant avec les États. Les appuis extérieurs de ces derniers, plus ou moins sincères, plus ou moins directifs, ont eux aussi varié dans leurs intentions. Du côté du pouvoir politique comme du côté des Églises, la référence est pourtant restée, implicitement, celle de la symbiose originelle personnifiée par les Rois catholiques. Cette référence, plus ou moins assumée et consciente, est le fil conducteur qui a guidé actions et initiatives depuis l'émancipation des métropoles espagnole et portugaise. Elle a fait l'objet d'interprétations certes nombreuses mais qui ont toujours respecté le modèle initial. Simplement, chacun, État ou Église, a cherché à l'interpréter en sa faveur.
Des États jaloux de leurs prérogatives
Pendant trois siècles, la colonisation a réduit l'Église catholique au rôle d'auxiliaire de l'autorité royale. Les gouvernants de l'indépendance ont pourtant gardé l'empreinte de cette relation inégale même si sa perpétuation était formellement rompue avec le retour à Lisbonne de Pierre Ier en 1821 et la défaite des troupes de Ferdinand VII d'Espagne à Ayacucho en 1824. De son côté, l'Église escomptait bien reprendre sa liberté. Mais les libérateurs des Amériques ont estimé avoir hérité des droits exercés par les souverains ibériques.
Le contrat qui avait été passé entre la papauté et les rois d'Espagne et du Portugal au moment de la Conquête était en effet très favorable au pouvoir temporel. La conquête des Amériques avait donné à l'Église romaine un champ d'expansion immense qui venait à point pour compenser les avancées significatives des réformés en Europe. Elle avait, en échange de cette ouverture spirituelle exclusive, accepté son instrumentalisation par l'autorité des souverains espagnol et portugais. Le prêtre et le moine accompagnaient le guerrier.[...]
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Écrit par
- Jean Jacques KOURLIANDSKY : chargé de recherche du secteur Amérique latine et péninsule Ibérique à l'Institut de relations internationales et stratégiques
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Médias
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