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AMÉRIQUE LATINE Rapports entre Églises et États

Une Église catholique en quête d'autonomie

Les différentes Églises locales et le Vatican ont souhaité, au moment des indépendances, perpétuer l'alliance antérieure du spirituel et du temporel. Ils considéraient cependant que la fin des empires espagnol et portugais justifiait la révision de la tutelle à laquelle ils étaient soumis. Les Églises voulaient le maintien du catholicisme comme religion officielle, la séparation du religieux et du politique et une relation directe avec Rome.

Les autorités ecclésiastiques refusèrent en conséquence de se plier plus longtemps au régime du patronat. La bienveillante neutralité manifestée par une grande partie de la hiérarchie pendant les guerres libératrices et la participation de nombreux curés au mouvement d'indépendance furent les arguments avancées pour négocier la fin de leur tutelle. Simón Bolívar avait reconnu l'apport appréciable joué par l'Église pendant les guerres contre l'Espagne. L'évêque de Mérida, Lasso de La Vega, avait en 1822 publié une pastorale favorable aux patriotes, puis défendu leur cause auprès du souverain pontife comme le lui demandait Bolívar. L'archevêque de Caracas, Coll y Prat, justifiait en ces termes l'acceptation du changement politique : « Avec la diversité des gouvernements successifs elle [l'Église] ne voyait pas la religion affectée ; puisque la règle de principe de tous ces gouvernements était de conserver la religion catholique unique et exclusive, elle crut avoir préservé la première mission qui lui était confiée par son divin fondateur. » L'évêque de Quito, José Cuero y Calcedo, devait présider la deuxième junte de gouvernement de 1810 à 1812. L'évêque José Antonio Martinez fut quant à lui vice-président de la junte révolutionnaire chilienne. Au Mexique, l'archevêque de Guadalajara sacre empereur en 1822 le vainqueur des Espagnols, Agustín Itúrbide.

Simón Bolívar avait bien compris les motifs de ce soutien et le parti qu'il pouvait tirer d'une Église qui, selon ses propres mots, « hait davantage les libéraux d'Espagne que les patriotes, car ceux-là se sont déclarés contre les institutions de l'Église, alors que nous-mêmes les protégeons ». Les libérateurs argentin et chilien ont, dans le même esprit, placé leurs armées sous la protection de la Vierge du Carmen. Le choix du clergé en faveur de l'indépendance répondait à des préoccupations voisines de celles des libérateurs : échapper à la tutelle pesante des rois ibériques. Il s'y ajoutait la peur d'un basculement libéral inspiré de la version française des Lumières ; républicaine ou impériale, la nuance importait peu. Déclenchée par le coup de force de Napoléon sur l'Espagne en 1808, cette crainte avait été ravivée par le succès de la révolution libérale de 1820 à Madrid. L'Église pensait qu'elle était en droit d'obtenir son émancipation en récompense de sa participation au mouvement de libération. Le conflit fut immédiat avec les nouveaux « princes », soucieux de conforter leur autorité disputée et souhaitant utiliser le clergé pour leurs objectifs politiques.

Les épiscopats locaux cherchèrent l'appui du Vatican pour obtenir la dénonciation du patronat. Le Saint-Siège, conscient de la difficulté, retarda le moment de l'affrontement : celui de la nomination de nouveaux évêques. Le pape fit valoir l'incertitude du droit, le roi d'Espagne, Ferdinand VII, n'ayant pas reconnu les indépendances. Mais, parallèlement, il reçut en 1824 un franciscain mandaté par le gouvernement de Buenos Aires et envoya l'année suivante un émissaire, Mgr Muzi, négocier la désignation de titulaires aux sièges épiscopaux vacants en Amérique du Sud hispanique. La mission échoua et les dirigeants des jeunes républiques favorisèrent la création[...]

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  • : chargé de recherche du secteur Amérique latine et péninsule Ibérique à l'Institut de relations internationales et stratégiques

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Médias

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