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AMÉRIQUE LATINE Rapports entre Églises et États

L'entrée en lice des protestantismes

Dans les années 1950, la montée en puissance de confessions protestantes conquérantes correspond à l'établissement d'un tutorat nord-américain global sur la région. Cette double pénétration eut une incidence puissamment déstabilisatrice. L'antagonisme traditionnel entre une Église en quête d'indépendance soutenue par le Vatican et des États soucieux de promouvoir un clergé national a été rapidement concurrencé par d'autres enjeux et stratégies révélateurs d'un rapport nouveau entre le religieux et le politique.

Les puissances européennes du xixe siècle, catholiques comme protestantes, à l'exception du second Empire, Napoléon III prétendant construire un Saint Empire latin, ont rarement articulé leur volonté d'expansion coloniale sur un quelconque projet religieux. L'Allemagne gardait certes une relation privilégiée avec les colons luthériens expatriés en Argentine et au Brésil. Mais, à Berlin, personne ne projeta jamais d'associer les missionnaires aux voyageurs de commerce. La Grande-Bretagne a rarement utilisé le spirituel pour accompagner la pénétration de son influence. Tout au plus peut-on citer l'action conjointe jusqu'en 1894 de la Couronne et des frères moraves sur la côte caraïbe du Nicaragua, peuplée d'Indiens Miskito. Les Églises protestantes historiques n'ont jamais sollicité l'appui de gouvernements partageant leurs convictions. Elles considéraient en effet que l'évangélisation des Amériques était l'affaire exclusive des catholiques qui y avaient engagé et poursuivi une action continue depuis le xvie siècle. Le congrès missionnaire réuni à Édimbourg en 1910 traduisit parfaitement cette attitude en adoptant un principe de non-ingérence protestante en Amérique latine.

Au tournant du xxe siècle et à partir de la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont progressivement imposé leur hégémonie dans cette région et écarté les puissances européennes. Ils prennent en 1898 la place de l'Espagne à Cuba et à Porto Rico. Ils encouragent et soutiennent en 1903 la sécession de la province colombienne de Panamá. Le nouvel État leur concédait à perpétuité une zone de souveraineté pour construire un canal reliant Atlantique et Pacifique. En 1904, le président américain Theodore Roosevelt exposa officiellement les motifs et les fins du protectorat que les États-Unis entendaient exercer sur l'Amérique centrale et les Caraïbes. Ce « corollaire » à la doctrine Monroe de 1823 a très vite légitimé plusieurs interventions militaires à Cuba, en Haïti, au Nicaragua et en république Dominicaine. Parallèlement à cette projection de type impérial, les Églises protestantes nord-américaines ouvraient un front missionnaire latino-américain. Dès 1916, quarante d'entre elles se sont réunies à Panamá pour organiser une offensive religieuse justifiée, selon elles, par le caractère décadent et idolâtre du catholicisme. On ne peut pas à cette date parler de plan concerté articulant l'extension de l'influence politique, économique, militaire et religieuse de Washington. La progression est parallèle, elle est le résultat d'un surcroît de puissance commun qui se déverse vers le sud sur un continent culturel différent, divisé et en situation de faiblesse. Elle repose sur une conception partagée, tout autant spirituelle que politique, du destin particulier, « manifeste » des États-Unis.

Ce volontarisme et ce dynamisme protestant nord-américain furent bien reçus par les gouvernements latino-américains en conflit avec l'Église catholique. Les dirigeants mexicains, qui avaient soumis le clergé à une tutelle constitutionnelle étroite, voyaient dans les missions protestantes un contrepoids modernisateur. Le président Porfirio Díaz avait fait publier en 1879 un rapport[...]

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  • : chargé de recherche du secteur Amérique latine et péninsule Ibérique à l'Institut de relations internationales et stratégiques

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Médias

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