AMNÉSIE
Les amnésies constituent un terme générique qui s’applique à de multiples situations pathologiques : une maladie neurodégénérative, comme la maladie d’Alzheimer, un traumatisme crânien, les conséquences de lésions focales de diverses origines, comme une pathologie infectieuse, vasculaire, tumorale, carentielle, etc. Tout en étant le symptôme, parfois central, d’une maladie, ces amnésies sont toutefois d’intensité différente, et leur profil peut prendre des aspects distincts d’un patient à l’autre. Quelques exemples d’amnésies sont présentés dans ce chapitre, en insistant à la fois sur leurs points communs et sur leur diversité. L’amnésie infantile, qui correspond au fait que nous n’avons pas de souvenirs de notre petite enfance, ne fait pas partie de ces descriptions, car il s’agit d’un phénomène normal.
Certaines formes d’amnésies ont largement contribué à comprendre la structure et le fonctionnement de la mémoire humaine. Dès la fin du xxe siècle, le philosophe et physiologiste français Théodule Ribot avait insisté dans son livre, Les Maladies de la mémoire, sur l’importance de la méthode pathologique pour comprendre les mécanismes de la mémoire humaine. Publié dans la Revue philosophique, l’article du neuropsychiatre russe Sergei Korsakoff, paru quelques années plus tard, est considéré comme le texte fondateur de la neuropsychologie de la mémoire. À partir de la description de patients amnésiques, le plus souvent de grands buveurs de vodka, atteints de ce qui sera nommé ultérieurement « syndrome de Korsakoff », l’auteur met en scène plusieurs découvertes majeures comme la notion de système de mémoire (la mémoire est plurielle) et le fait que les traces des impressions récentes subsistent chez ces malades dans la vie psychique inconsciente (la notion de mémoire implicite).
Le syndrome de Korsakoff, le plus souvent lié à une avitaminose consécutive à une consommation excessive et chronique d’alcool, est emblématique des syndromes amnésiques permanents. Il associe une amnésie antérograde (la difficulté à former de nouveaux souvenirs) et une amnésie rétrograde (la difficulté à rappeler des souvenirs qui avaient été formés avant la survenue de la maladie). D’autres symptômes complètent le tableau clinique, surtout en début d’évolution, comme les confabulations et les fausses reconnaissances : le patient fait état de situations erronées, de façon plus ou moins confuse, ce qui suggère que toute sa mémoire n’est pas déficiente et qu’il construit un récit à partir d’éléments disparates. Fréquemment, le malade est anosognosique, c'est-à-dire qu’il n’est pas conscient de ses troubles de la mémoire.
Les régions cérébrales impliquées dans la mémoire, notamment la mémoire épisodique (ou mémoire des souvenirs), ont été précisées à partir de l’examen de patients présentant un syndrome amnésique. Certains sont passés à la postérité, car leurs troubles de la mémoire étaient massifs et isolés (sans autre trouble des fonctions cognitives). C’est le cas du patient, connu sous les initiales H. M., opéré dans les années 1950 d’une double exérèse des hippocampes pour soigner une épilepsie pharmacorésistante. Ce patient a développé une amnésie antérograde et rétrograde, mais il était capable d’apprendre certaines procédures ; sa mémoire à court terme était également préservée. Cette observation a ainsi souligné le rôle de l’hippocampe et d’autres structures cérébrales qui lui sont reliées dans une forme de mémoire appelée épisodique, tout en préservant d’autres composantes de la mémoire.
La maladie d’Alzheimer est la plus fréquente des maladies neurodégénératives, et les troubles de la mémoire y occupent une place centrale. Comme dans les syndromes amnésiques, l’amnésie est à la fois antérograde et rétrograde, liée à des lésions[...]
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Écrit par
- Francis EUSTACHE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, directeur de l'unité 1077 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, université de Caen Normandie
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