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AMOUR (M. Haneke)

Onzième long-métrage de Michael Haneke réalisé pour le grand écran, Amour ne peut surprendre que ceux qui perçoivent d'abord ce cinéaste sous l'angle de la violence, du pessimisme ou de la froideur intellectuelle. En effet, ce film – qui montre un couple d'octogénaires, lié par une complicité tant amoureuse que culturelle, soudain confronté à l'insupportable réalité de la maladie – nous présente un Michael Haneke, artiste et homme, doté d'une sensibilité intense, apparemment absente de son œuvre jusqu'ici.

Non pas que Haneke se laisse aller à la sensiblerie du « cinéma mainstream ». Bien plutôt, il choisit d'aborder l'une de nos questions existentielles inéluctables – comment vivre avec la souffrance d'un être aimé – au moyen d'une symbiose parfaite entre l'approche clinique du sujet et sa sublimation esthétique. Une attitude engendrée tant par la disparition douloureuse de deux membres de sa famille que par son souci constant de représenter une situation, si atroce soit-elle, avec le plus de retenue possible.

Ombre et lumière

Amour, palme d'or du festival de Cannes 2012 (la seconde pour Haneke, après celle obtenue en 2009 pour Le Ruban blanc), nous touche donc grâce à une narration encore plus épurée qu'auparavant, faite de longs plans-séquences, de champs-contrechamps imprévisibles, de travellings à peine perceptibles. Une réalisation rigoureuse qui s'appuie aussi bien sur un regard méticuleux posé sur un lieu unique (un huis clos constant, véritable nid d'amour à tout prix préservé), que sur un éclairage qui lutte contre l'insistance létale de la nuit, le jeu d'une justesse inouïe de ses interprètes et surtout sur le rythme quasi musical donné au montage. S'il est indéniable que les trois acteurs principaux, Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert, contribuent en très grande partie à la réussite du film, le réalisme des décors signés par Jean-Vincent Puzos participe également à sa beauté. Reconstituée à partir de l'image qu'avait gardée le metteur en scène de l'appartement de ses parents à Vienne, cette demeure parisienne haussmannienne impressionne par sa véracité, qu'il s'agisse du mobilier et de sa décoration (due, entre autres, à Susanne Haneke, épouse du cinéaste), de la bibliothèque construite en chêne véritable aux ouvrages classés alphabétiquement par thèmes, ou du vrai vieux parquet, le tout exigé par un Haneke plus maniaque et perfectionniste que jamais. Il en va de même de la photo de Darius Khondji, elle aussi sans apprêt, qui nuance à merveille les zones d'ombre et de lumière qu'a toujours affectionnées le réalisateur. À cela s'ajoute la qualité musicale du montage, les scènes s'enchaînant à un rythme lent, en parfaite concordance avec l'avancée de plus en plus pénible de la maladie. À l'intérieur de cette progression, la multiplication de plans sur les diverses pièces de l'appartement, vides le soir, et sur les tableaux qui ornent les murs ont fonction de véritables fermate musicales qui suspendent la narration à des moments cruciaux, comme l'hospitalisation d'Anne, pour la première, la gifle qu'elle reçoit de son mari agacé par son refus de s'alimenter, pour la seconde. Ce montage mélodieux est soutenu par des morceaux de musique en adéquation avec les diverses situations (Impromptus nos 1 et 3 de Schubert, Bagatelle opus 126 no 2 de Beethoven, le prélude du choral BWV 639 de Bach adapté par Busoni, brillamment interprétés par Alexandre Tharaud au piano). Des morceaux tous interrompus cependant. Ruptures judicieusement prémonitoires du destin fatal auquel ne peut échapper le couple (l'un des premiers titres prévus pour le film était « Quand la musique s'arrête ») et qu'un pigeon s'ingénie à deux reprises, comme[...]

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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