AMOUR (M. Haneke)

Survivre à la société

Mais Amour est avant tout un véritable film... d'amour. Il suffit de bien regarder la manière dont Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva se dévisagent, les gestes de tendresse qu'ils ont encore l'un pour l'autre, de bien percevoir certains de leurs échanges verbaux (« Tu es un monstre, parfois, mais tu es gentil ») qui en disent long sur leur longue et touchante relation d'au moins cinq décennies (« C'est beau, la vie, si longtemps »). Certains penseront que le film pose le problème de l'euthanasie, mais ils se tromperont. Son véritable sujet n'est autre qu'une variation sur la relativité de notre existence qui exige de nous d'accepter l'idée que tout a une fin, y compris ce sentiment, cette passion, ce désir illusoirement tournés vers l'éternité. Une condition humaine que chacun s'efforce d'ignorer, afin de pouvoir s'adonner à ses centres d'intérêt qui, trop souvent, l'entraînent dans le domaine de l'aliénation, attitude magistralement rendue par Isabelle Huppert dans le rôle de la fille du couple.

Cette réflexion guidait déjà le premier long-métrage pour le cinéma de Michael Haneke, Le Septième Continent (1989). On y voyait un autre couple, conscient de son anéantissement par une société de plus en plus matérialiste, mettre fin à ses jours. Une thématique dans laquelle Éros se dresse vainement contre Thanatos, et qui se retrouve, par exemple, dans Benny's Video (1992), La Pianiste (2001) ou encore Caché (2005) et dans certains téléfilms, comme Trois Chemins vers le lac (1976) d'après Ingeborg Bachmann, Variation (1982), inspiré par Goethe, ou Fraulein (1985). Il s'agit donc bien ici d'un film d'amour où la tendresse domine, un comportement déjà amorcé dans Code inconnu (2000), développé dans Caché (2005) et fortement souligné dans les rapports entre l'instituteur et la préceptrice du Ruban blanc. On le voit, Amour est un film qui s'inscrit très naturellement dans la longue réflexion conduite par Michael Haneke aussi bien sur son art que sur la vie.