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AMPHITRYON (mise en scène C. Rauck)

Amphitryon est l’une des comédies les mieux ciselées de Molière. Inspirée de Plaute, elle nous reconduit aux temps anciens de la Grèce, lorsque les dieux couvaient les hommes d’un regard jaloux.

Victorieux d’Athènes, le valeureux Amphitryon s’apprête à regagner son palais afin d’y fêter sa victoire dans les bras d’Alcmène, sa bien-aimée. Il envoie Sosie, son valet, en éclaireur. Mais, au même moment, Jupiter, conquis par les charmes de la belle, a revêtu l’apparence de son époux pour s’introduire dans son lit. Métamorphosé lui-même en « sosie » de… Sosie, un autre dieu, Mercure, interdit la porte du palais aux deux mortels, dépouillés de leurs identités. Abusée, Alcmène cède aux désirs de Jupiter.

Ambiguïtés, quiproquos, dépit, jalousie, confusion des sens et des sentiments, coups de bâton… In fine, Jupiter se révélera à tous dans sa majesté divine. D’abord furieux, Amphitryon devra s’incliner. N’est-ce pas un honneur pour lui et son épouse que celle-ci ait été aimée par le maître tout-puissant des hommes et de l’Olympe ? Ne doivent-ils pas en être récompensés par la naissance d’Hercule, fruit de cette étreinte ?

L’illusion d’être soi

Créé le 13 janvier 1668 au Palais-Royal, Amphitryon connut un succès immédiat. Reçue par certains comme une œuvre de circonstance – Molière, toujours sous le coup de l’interdiction de son Tartuffe, se serait senti contraint de flatter son souverain mécène, Louis XIV, Roi-Soleil et Jupiter tout à la fois –, cette comédie en vers n’en fut pas moins applaudie comme un joyeux divertissement à grands effets de machineries, avant d’être longtemps reléguée au statut d’« œuvre mineure » au regard de « classiques » tels que Dom Juan, Le Malade imaginaire ou Tartuffe.

<em>Amphitryon,</em> de Molière - crédits :  Larissa Guerassimtchouk/ Théâtre du Nord

Amphitryon, de Molière

C’est pourtant cette « œuvre mineure » que Christophe Rauck, directeur du Théâtre du Nord (Centre dramatique national de Lille) a été invité à créer au mois de février 2017 à Moscou, avec les Fomenkis – les comédiens de l’Atelier-Théâtre Piotr-Fomenko, fondé par le grand maître de la scène moscovite, mort en 2012. Pour le metteur en scène – premier « étranger » à bénéficier de cet honneur –, le projet était risqué, ne serait-ce que parce que le spectacle, présenté ensuite à Lille et au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, a été répété et joué non en français mais en russe, à partir d’une traduction du poète symboliste Valeri Brioussov. Ce pari, il l’a superbement gagné.

Accompagné d’une équipe complice (Leslie Six pour la dramaturgie, Aurélie Thomas pour la scénographie, Coralie Sanvoisin pour les costumes, Xavier Jacquot pour le son, Olivier Oudiou pour les lumières), Christophe Rauck nous offre une vision décapée et décapante d’Amphitryon. Tour à tour audacieuse, élégante, enlevée, poétique. Violente, cruelle et amère. S’attachant, par-delà la farce triviale, à mettre en valeur des thèmes plus graves et plus troublants : le double, la perte de soi et de son identité, la raison qui s’affole et la folie qui menace quand chacun vous persuade que vous n’êtes pas celui que vous prétendez être, qu’un autre est vous – mais, alors, qui êtes-vous ? Thèmes, résolument politiques, de l’omnipotence et de l’arbitraire de celui qui s’arroge le droit d’assouvir ses pulsions et ses désirs sans que nul y trouve à redire – à commencer par les victimes.

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

Classification

Média

<em>Amphitryon,</em> de Molière - crédits :  Larissa Guerassimtchouk/ Théâtre du Nord

Amphitryon, de Molière