AMPHITRYON (mise en scène C. Rauck)
La nuit transfigurée
De quoi transformer la comédie allègre en noire tragédie ? C’est compter sans la mise en scène et le jeu des acteurs. Andrei Kazakov, Amphitryon blessé dans son orgueil, est prêt à toutes les manipulations, jusqu’à la menace de suicide au revolver face à Alcmène, son épouse innocente dépassée par les événements – Ksenia Koutepova, sœur jumelle de Polina Koutepova, l’interprète de Cleanthis, sa suivante et compagne de Sosie. Il faut citer encore Ivan Verkhovykh – Mercure insolemment cynique – et Vladimir Toptsov – Jupiter sûr de lui, autocrate sans scrupule, moins soucieux du sort des mortels que de sa jouissance et de sa gloire. Et puis, enfin et surtout, Karen Badalov, fabuleux Sosie clownesque, aux faux airs pince-sans-rire à la Buster Keaton.
Tous se dépensent sans compter et, donnant vie aux personnages, apostrophent le public, le rejoignent dans la salle, puis se fondent dans un décor inouï, un espace vide plongé le plus souvent dans l’obscurité d’une nuit propice à tous les enchantements et toutes les équivoques. Une passerelle le traverse dans sa largeur, transportant Jupiter, la déesse de la Nuit, ou Mercure descendant des cintres, comme s’ils descendaient tout droit de l’Olympe.
Suspendu dans les airs, un immense miroir (7 mètres sur 2) s’incline ou se redresse au fil des séquences, renvoie au public sa propre image, démultiplie les perspectives, dédouble l’action sur le plateau : ici, la façade du palais semble se redresser soudainement ; là, une course-poursuite sur place entre Alcmène et d’autres personnages évoque quelque film d’animation. Et, parfois, le miroir ouvre sur le cosmos, faisant naître des visions d’un onirisme troublant quand s’y réfléchissent à l’infini les flammes des bougies de chandeliers posés à terre, brillantes comme autant d’étoiles dans la nuit.
On est ailleurs. Dans le temps présent (les costumes sont contemporains) et hors du temps. Sur Terre et dans le Ciel, chez les hommes et chez les dieux. Pris au vertige du faux qui se donne pour le vrai et du vrai pour le faux, alors que s’efface toute frontière entre réalité et illusion. Le théâtre à l’état pur ?
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
Classification
Média