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ANALYSE & SÉMIOLOGIE MUSICALES

Les modèles linguistiques dans l'analyse musicale

À l'époque du structuralisme triomphant, la sémiologie musicale rencontre les modèles d'analyse linguistique pour des raisons à la fois épistémologiques et esthétiques.

Le structuralisme conçoit le signe moins comme l'union d'un signifiant et d'un signifié que comme un élément intégré à un système, entretenant avec ses voisins des rapports « oppositifs et négatifs ». Paul Ricœur l'énonce très clairement en 1967 : « Le type d'intelligibilité qui s'exprime dans le structuralisme triomphe dans tous les cas où l'on peut : a) travailler sur un corpus déjà constitué, arrêté, clos et, en ce sens, mort ; b) établir des inventaires d'éléments et d'unités ; c) placer ces éléments ou unités dans des rapports d'opposition binaire ; d) et établir une algèbre ou une combinatoire de ces éléments et de ces couples d'opposition. » (in P. Ricœur, 1969, p. 80). Ainsi, par opposition aux approches phénoménologiques, la linguistique semblait ouvrir la voie à des entreprises scientifiques rigoureuses : a) le signe étant traité selon ses différences dans un système, il est caractérisé essentiellement par un jeu de relations ; b) cette approche formelle satisfait au principe d'immanence ; c) les règles de détermination des phonèmes élaborées par la phonologie et les principes de l'analyse distributionnelle permettent de répondre à l'exigence d'explicitation pour l'étude d'un corpus donné, et la grammaire générative, en proposant de tester des règles descriptives, rencontre l'exigence de falsification.

Ces approches, privilégiant les seules structures musicales aux dépens des stratégies compositionnelles et perceptives, coïncidaient avec la conception esthétique et, peut-on dire, ontologique qu'on se faisait de la musique à cette époque : depuis le célèbre Vom Musikalisch Schönen (Du beau dans la musique) [1854] de Eduard Hanslick, la plupart des compositeurs novateurs du xxe siècle ont adopté la position de Stravinski : « La musique est, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit [...]. L'expression n'a jamais été la propriété immanente de la musique » (I. Stravinski, 1962, p. 110). Et Boulez affirmait, sans concession : « La musique est un art non signifiant » (1961, in P. Boulez, 1985, p. 18).

On peut distinguer trois grands modèles linguistiques importés dans l'analyse musicale : la phonologie, la technique paradigmatique, la grammaire générative.

En linguistique, le modèle phonologique a pour objectif de déterminer quels sons appartiennent en propre à une langue : le japonais ne distingue pas entre l et r, le français distingue entre le é de « chantai » et le è de « chantais », l'allemand entre le ch de « Kirche » (église) et celui de « Kirsche » (cerise). Si la phonologie n'a été appliquée à l'analyse des musiques occidentales que de façon très métaphorique, elle a en revanche fourni à l' ethnomusicologie un remarquable outil pour résoudre un de ses problèmes de base, analogue à la détermination des phonèmes d'une langue : quelles sont les hauteurs propres à un système musical ? Dans cette direction, l'entreprise la plus aboutie est celle de Vida Chenoweth qui a proposé une méthode fondée sur la phonologie du linguiste américain Kenneth Pike (V. Chenoweth, 1979). Dans son livre sur les Usarufas, on peut trouver la transcription « étique » du corpus musical étudié, c'est-à-dire tel qu'il est entendu par une oreille occidentale, et sa transcription « émique », c'est-à-dire tel qu'il correspond au système musical propre aux autochtones. Les hauteurs émiques sont repérées d'après la fréquence statistique des sons et les déviations sont expliquées d'après leur environnement distributionnel.[...]

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Anneau du Nibelung - crédits : Encyclopædia Universalis France

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