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ANALYSE & SÉMIOLOGIE MUSICALES

La sémantique musicale

C'est dans une toute autre perspective, méthodologique et esthétique, que se placent les analyses qui se proposent de faire apparaître la dimension sémantique des œuvres et des corpus, puisque, à la différence du structuralisme, qui considère les œuvres comme des objets formels, l'approche sémantique reconnaît que la musique est le véhicule d'émotions, de sentiments, d'images appartenant au vécu des compositeurs et des auditeurs. Son objectif est de déterminer lesquels.

La sémantique musicale, depuis la théorie de l'êthos chez Platon, est aussi vieille que la musique elle-même, et depuis que, avec le romantisme, le discours-sur-la-musique accompagne le fait musical, on a vu proliférer toutes sortes d'herméneutiques musicales, plus ou moins sérieuses, plus ou moins subjectives. À côté de laïus journalistiques peu recommandables, la reconstruction musicologique, surtout pour les œuvres vocales, s'est attachée à établir un lien assez précis entre les moyens musicaux utilisés et la signification véhiculée par le texte. On pense en particulier aux travaux déjà anciens de André Pirro, Albert Schweitzer et Jacques Chailley sur Bach, à la multitude d'exégèses sur les leitmotive wagnériens et, plus récemment, au livre de Frits Noske (1977), qui se réclame de la sémiologie, sur les opéras de Mozart et de Verdi.

Mais deux champs de recherche retiendront particulièrement notre attention. Du côté de l' ethnomusicologie, Charles Boilès, s'élevant avec vigueur contre le préjugé hanslickien d'un a-sémantisme universel de la musique, s'est attaché à montrer, au contraire, que, dans des contextes bien précis, en particulier rituels, la musique instrumentale véhiculait des signifiants musicaux identifiables, renvoyant à des signifiés qu'on pouvait dégager par enquête auprès des autochtones. Dans ses études sur les Tepehua (1967) et les Otomi (1969), il a utilisé la technique paradigmatique pour faire l'inventaire des unités musicales susceptibles d'être porteuses de significations, et c'est par un aller et retour entre signifiants et signifiés qu'il est parvenu à établir de véritables lexiques de significations musicales. La même méthode a été utilisée avec succès par Monique Desroches (1980) pour l'étude sémantique des rythmes de tambour dans les cérémonies des Tamouls, descendants d'immigrés en Martinique. Il semble que ces associations sémantiques soient beaucoup plus répandues qu'on ne le croit, si l'on se fie à certaines descriptions d'anthropologues, par exemple celles de Geneviève Calame-Griaule à propos des Dogon (1965).

Dans une toute autre perspective, Robert Francès (1958) puis Michel Imberty (1979 et 1981) ont utilisé les techniques de la psychologie expérimentale pour connaître quelles significations les auditeurs associent à des œuvres de musique occidentale. L'entreprise consiste à inventorier, classer et comptabiliser les réponses verbales associées à des fragments musicaux par des auditeurs cobayes convenablement choisis. Dans l'état présent des recherches, la sémantique musicale réussit surtout à dresser, pour l'ensemble d'une œuvre, des cartes de traits qui dessinent le style sémantique d'un auteur, et c'est ainsi que M. Imberty a pu confronter le style sémantique de Brahms à celui de Debussy. Si, pour lui, c'est le facteur temps qui, d'une façon générale, est à la base du sémantisme musical, il n'en reste pas moins que, dans chaque cas particulier, la raison profonde du lien entre le signifiant et le signifié n'est qu'imparfaitement élucidée. Pourtant, il ne fait aucun doute que ces liens existent : F. Noske (1977, chap. viii) a pu démontrer qu'il existe bien un topos musical de la mort (deux, trois ou quatre brèves suivies[...]

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Anneau du Nibelung - crédits : Encyclopædia Universalis France

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