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ANALYSE ET SYNTHÈSE, chimie

Ces deux notions, en principe complémentaires et réciproques, ne le sont pas en fait. Certes, les deux tendances à l'analyse et à la synthèse s'opposent, la première visant à couper les entités chimiques en petits morceaux et la seconde se donnant pour objectif la reconstruction des ensembles mis à mal par l'analyse. Mais il faut examiner les deux ensembles de pratiques qu'elles recouvrent.

Les analystes œuvrent dans des laboratoires industriels et dans des institutions publiques, vouées en particulier au suivi de la qualité de l'air ou de l'eau, bref à des préoccupations environnementales. Typiquement, un analyste use d'une instrumentation de haute performance afin de détecter la présence de substances illégales et d'en mesurer la teneur. Il peut s'agir, pour citer des exemples concrets, d'un dopant dans l'urine ou le sang d'un sportif professionnel, d'un pesticide ayant migré de la peau du fruit vers sa pulpe dans du jus d'orange, ou d'une substance cancérigène présente dans un aliment. Le rôle des analystes s'apparente ainsi à celui d'une force de police assurant la surveillance et la protection du corps social, pour parer à son empoisonnement par des produits dangereux. C'est ainsi que la découverte par un analyste en Caroline du Nord, en 1990, de la contamination de bouteilles d'eau minérale Perrier par du benzène fit perdre à cette marque 30 p. 100 de sa part d'un très lucratif marché et aboutit, en 1992, à son rachat par la puissance société multinationale Nestlé.

Si l'analyse consiste ainsi à détecter la présence dans un échantillon d'une molécule X, et à en mesurer la teneur, il est clair que vouloir définir la synthèse comme activité inverse et complémentaire est absurde. Les chimistes spécialistes de la synthèse sont des professionnels qui travaillent dans les laboratoires de l'industrie pharmaceutique et y procèdent à la synthèse de molécules complexes, des substances naturelles ayant des activités biologiques utiles – un antitumoral extrait d'un corail ou d'une éponge, par exemple – ou des molécules artificielles. On pose que ces dernières pourraient fournir des médicaments, par leur ressemblance structurale avec des substances naturelles actives ou leur aptitude à se fixer sur tel ou tel récepteur biologique.

Les acceptions présentes en chimie des termes « analyse » et « synthèse », comme on vient de le voir, n'ont guère de rapport. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Il y eut toute une époque de couplage étroit entre ces notions, ce qui explique la rémanence de leur association dans les esprits.

En effet, durant presque un siècle – la période 1850-1950, grosso modo – la procédure canonique pour établir la structure d'une molécule était d'en faire la synthèse. Cela pouvait être soit la synthèse totale à partir des éléments constituants, soit la modification d'une molécule préexistante, une substance naturelle le plus souvent (hémisynthèse). La première phase, d'analyse, consistait à déterminer la composition élémentaire de la substance inconnue. Ensuite, à partir de divers indices, le chercheur conjecturait une formule de structure, qu'il fallait confirmer par synthèse. Ainsi, durant une période longue à vue humaine – trois ou quatre générations de chimistes –, mais brève au regard de l'histoire, analyse et synthèse furent des concepts liés par une pratique.

Leur divergence durant le dernier demi-siècle eut pour origine le recours à l'outil spectroscopique, détrônant la synthèse comme moyen d'établissement de la structure des molécules. Et avant ? La question n'a pas grand sens historique, puisque, si l'on en excepte quelques avancées fulgurantes comme la synthèse de l'urée par Friedrich Wöhler en 1828,[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)

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Robert Burns Woodward - crédits : Courtesy of the Harvard University News Service

Robert Burns Woodward

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