FRANCE ANATOLE (1844-1924)
Le « dilettante »
Ne méconnaissons pas l'importance, dans la formation de France, des sceptiques grecs, des libertins ou de Voltaire. Mais c'est surtout à l'école des penseurs modernes qu'il se forme, pour proclamer l'exigence du libre exercice de la raison, la nécessité de séparer le spirituel du temporel, et l'intérêt qu'il faut porter à une science qui replace l'homme dans la nature : au plus haut degré certes de l'échelle actuelle des êtres, mais voué à la lutte pour la vie, et enfermé dans les limites de ses sens. Pessimisme fondamental, opposé aux doctrines de Rousseau et de ses disciples ; dans notre pensée imparfaite réside pourtant notre dignité. Telle est la doctrine que France met au point dans les articles grâce auxquels il gagne sa vie jusqu'à trente ans passés, et qui importe plus que son opposition passagère au second Empire. Pas plus que celui de Renan, on n'évalue justement le « dilettantisme » de France si l'on n'aperçoit les fermes convictions sur lesquelles il repose, sous des dehors d'autant plus ondoyants que France est non pas un philosophe, mais un artiste. Un poète tout d'abord : le succès du prosateur a fait oublier que, jusqu'à trente-deux ans, l'écrivain a fait partie de l'école parnassienne, dans la mouvance de Louis Ménard. Il marque une préférence, destinée à un long avenir, pour les époques ambiguës, où paganisme et christianisme s'interpénètrent. Devenu un jeune maître après des débuts difficiles, il exclut du Parnasse contemporain Verlaine et Mallarmé. Déplaisant épisode dont se souviendra Valéry, mais auquel il convient de rendre ses proportions : France allait se réconcilier avec Mallarmé, et devenir, dans les années 1880, l'un des artisans de la fortune littéraire de Verlaine...
De 1877 à 1888 environ, France est tenté par une installation conformiste dans la société et dans la littérature. Il devient sous-bibliothécaire au Sénat, se marie, fait son chemin dans les salons. Le Crime de Sylvestre Bonnard le pose comme un ennemi des naturalistes ; Le Livre de mon ami est bien accueilli. En 1887, l'écrivain devient titulaire de la chronique de « La Vie littéraire », dans Le Temps. C'est le sommet de sa déjà longue carrière de critique. Opposé à tout dogmatisme, il convie son lecteur à des promenades nonchalantes d'allure, mais plus balisées qu'il ne semble. Ce journal de bord, qui n'a pas été entièrement repris en volumes, exprime un art de vivre voluptueux et inquiet. France est prompt aux interrogations : qu'est-ce que l'histoire ? où va le monde moderne, si angoissé ? le Moi peut-il trouver une unité ? Il s'interroge lui-même, et il évolue : il se rapproche des symbolistes ; il écrit dès 1892 l'éloge de Zola, qu'il avait tant attaqué. Enfin, très attentif à son temps, il s'alarme de la crise d'âme que traverse la France. Son apaisement n'a donc été que passager.
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Écrit par
- Marie-Claire BANCQUART : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres, docteur ès lettres, professeure de littérature à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Autres références
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