ANATOMIE ARTISTIQUE
Léonard de Vinci, Vésale, l'écorché
C'est dans l'œuvre de Léonard de Vinci que l'on voit se nouer avec éclat la liaison intime du savoir et de l'outil graphique. Dans un même regard, Léonard voit les anatomies artistique et spéculative. Tout ce qui chez lui est théorie aussitôt se convertit en procédé de représentation, dont le produit a lui-même une fécondité heuristique.
D'une dissection, il lui arrive de ne pas seulement donner une image neutre (qui est déjà un schéma opératoire), mais d'interpréter encore son opération, substituant, par exemple, aux dispositifs ostéomusculaires, des systèmes de cordes et de leviers ; ce par quoi il exprime mécaniquement des fonctions physiologiques. La figure anatomique naît alors de la rencontre de deux types de problèmes : statique et dynamique corporelles d'une part, expression graphique de l'autre. Entre l'art et la science, point de coupure chez lui, ce qui caractérise généralement le projet humaniste de la Renaissance, conciliatrice du logos et de la praxis.
Mais si riches qu'aient été les investigations de Léonard, elles furent pratiquement sans conséquence historique. Chercheur clandestin dont la problématique s'inscrit dans un univers volontiers ésotérique, ses œuvres demeurèrent trop longtemps inédites pour avoir quelque influence décisive sur l'aventure scientifique et poser, en définitive, d'autres difficultés que celles qui sont attachées à la définition correcte du précurseur.
Il faut attendre 1543 pour voir apparaître, avec Vésale, une œuvre majeure qui marque la première maturité de l'illustration anatomique. Alors concourt pour la première fois, dans un difficile équilibre, la fécondité épistémologique de l'instrument graphique et l'inévitable esthétisation de l'objet qui rend supportable la figuration de l'insupportable. C'est la théâtralisation de l'écorché qui en rend possible la vision avant que la science ne se pare elle-même de vertus esthétiques : Hume ne trouvant rien de plus beau qu'un œil disséqué ; Leibniz rappelant que « les ouvrages de Dieu sont infiniment plus beaux et mieux ordonnés qu'on ne croit communément » ; et Vicq d'Azyr, en 1786, proclamant la joie du savant qui reconstitue sous ses yeux l'ordre naturel : « Combien de fois, dans le cours de mes recherches, j'ai joui d'avance du plaisir de voir rangés en une même ligne tous les cerveaux qui dans la suite du règne animal semblent décroître comme l'industrie ! »
L'œuvre de Vésale marque une étape décisive de la science anatomique, en se détachant d'œuvres antérieures nées avec les formes de culture qui permettront le projet de la Fabrica. Préludant à cette œuvre maîtresse, quelques ouvrages médicaux sont composés avec des images. Il suffit de citer le Fasciculus medicinae attribué à J. Ketham, publié à Venise en 1491, où l'on trouve quelques belles xylographies, mais de médiocre valeur anatomique. En 1493, le Fasciculo di medicina, qui inclut l'Anathomia de Mondino de Liucci, donne, avec une image de femme éventrée, la première figuration d'une structure organique ouverte. Peu après, Magnus Hundt, dans son Anthropologium de hominis dignitate, natura et proprietate, publie une bonne représentation du système intestinal. Le Spiegel der Artzny de Laurentius Phrysen, paru en 1518 à Strasbourg, contient la figure d'un homme aux cavités thoraciques et abdominales ouvertes.
C'est dans l'édition de 1496 du Liber conciliator de Pietro d'Abano que l'on voit apparaître des écorchés partiels qui conservent les signes d'une vie indifférente aux mutilations : système qui dominera jusqu'à la déploration macabre du baroque et disparaîtra avec le ton de neutralité de l'illustration scientifique récente. Le parti est d'une extrême[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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