ANATOMIE D'UNE CHUTE (J. Triet)
Une vérité relative
Ce jeu de cache-cache entre les sphères privée et publique est entretenu par une confusion généralisée affectant les « sens cinématographiques » que sont l’ouïe et la vue. Daniel est malvoyant ; ses souvenirs sont perturbés lors d’un témoignage au cours duquel il ne parvient plus à identifier les sons et les voix qu’il est censé se remémorer. Son handicap empêche donc de se prononcer sur la culpabilité de sa mère. Comme chez tous les protagonistes et le spectateur, sa perception auditive s’est trouvée altérée par la musique assourdissante diffusée par son père au moyen des enceintes situées au dernier étage de la maison, quelques minutes avant sa mort. Cette musique vient polluer l’interview inaugurale du film entre Sandra et une étudiante admiratrice de son œuvre littéraire, mais semble aussi maintenir une barrière invisible avec le hors-champ. Le hors-champ est ce dernier étage, devenu caisse de résonnance, qui semble avoir implosé et propulsé Samuel à travers la fenêtre. Devant le mystère de la disparition de son père, Daniel ne trouve pas d’autre solution que de sacrifier son chien, son guide, sur lequel il expérimente une alternative : la possibilité du suicide et la piste de l’empoisonnement. Sauvé, l’animal permet de clore l’instruction et c’est donc un être vivant non doté de parole qui rend possible l’acquittement de Sandra.
La cinéaste aura utilisé toutes les manifestations de la parole, substituant notamment la voix d’un protagoniste à celle d’un autre. Daniel lui-même comprend son père en se mettant à sa place autant qu’en conférant à son chien la place de celui-ci. Cet enchevêtrement de voix et de rôles empêche de démêler le vrai du faux, puisque, comme Justine Triet le rappelle ici, toute vérité est toujours d’abord subjective, hissant Anatomie d’une chute au niveau d’Autopsie d’un meurtre (1959), le classique d’Otto Preminger.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre EISENREICH
: critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue
Positif
Classification
Média