ANTOINE ANDRÉ (1858-1943)
Cet homme de théâtre né, qui croyait avec ferveur à la « vérité » de la scène – exigeant de ses comédiens un jeu « naturel », dans des vêtements faits pour la ville et la rue – n'a pas seulement balayé les conventions devenues fossiles qui régnaient dans les théâtres de son temps. La révolution qu'il a opérée concerne aussi les rapports à établir entre la scène et la salle.
Enfin, le grand besoin de renouvellement qui a inspiré son entreprise – bien loin de révéler une docilité servile au nouveau mouvement du naturalisme, comme on a cru pouvoir le lui reprocher – manifestait, plus profondément, une exigence d'authenticité : la preuve en est qu'à la fin de sa carrière il pouvait tendre la main à un Jacques Copeau, chez qui l'amour de la vérité s'exprimait dans des formes souvent radicalement opposées à celles qu'Antoine avait lui-même introduites au Théâtre-Libre. C'est que cet homme d'action se doublait d'un critique lucide, attentif à tout ce qui pouvait enrichir ou exalter son art.
Du bureau à la scène
Né à Limoges le 31 janvier 1858, André Antoine doit dès 1872 gagner sa vie : d'abord petit clerc chez un agent d'affaires, puis employé au bureau du Bottin chez Firmin-Didot, il devient en 1877 employé auxiliaire à la Compagnie du gaz. Il s'intéresse déjà au théâtre, fréquente le Gymnase de la Parole, fait de la figuration et essuie un échec au concours d'entrée au Conservatoire en 1878. Au retour de quatre années de service militaire, en 1883, il adhère au Cercle Gaulois, 37, passage de l'Élysée-des-Beaux-Arts : il y joue et y monte des spectacles. C'est là qu'il fonde, avec des camarades de ce Cercle, des membres du Cercle Pigalle et de la Butte, le Théâtre-Libre. Les 29 et 30 mars 1887, le Théâtre-Libre y présente son premier spectacle. Une des quatre pièces figurant au programme, Jacques Damour, tirée par Léon Hennique d'une nouvelle de Zola, impose Antoine à l'attention du public parisien.
De 1887 à 1894, sous la direction d'Antoine, le Théâtre-Libre donne environ huit spectacles par année, à raison de deux ou trois pièces par spectacle. Ses représentations ont d'abord lieu dans la salle du passage de l'Élysée-des-Beaux-Arts (mars-oct. 1887), puis au théâtre Montparnasse (saison 1887-1888), enfin salle des Menus-Plaisirs, boulevard de Strasbourg. En 1894, Antoine cède à Larochelle la direction du Théâtre-Libre, entreprend plusieurs tournées et participe comme acteur à quelques spectacles (dont L'Âge difficile de Jules Lemaître, au Gymnase). En 1896, il est nommé codirecteur de l' Odéon, en compagnie de Paul Ginisty. Ce dernier manœuvre pour se débarrasser d'Antoine et y réussit en moins d'un an.
En juillet 1897, Antoine signe un bail de quatorze ans pour le théâtre des Menus-Plaisirs, qui va devenir le Théâtre-Antoine, sous sa propre direction, jusqu'en 1906. Cette fois, il s'agit d'une entreprise permanente qui donne des représentations tous les soirs. Antoine y poursuit et y développe le travail du Théâtre-Libre. En décembre 1904, il y monte – c'était une grande audace sur le Boulevard – Le Roi Lear.
En 1906, il est nommé, seul, directeur de l'Odéon. Il y accomplit une œuvre considérable, « introduisant sournoisement le vieux Théâtre-Libre au cœur même de l'Odéon officiel ». On a pu dire qu'« avec lui, l'Odéon connut son époque la plus passionnante et la plus glorieuse » (P.-A. Touchard). Mais, en avril 1914, talonné par les créanciers, Antoine démissionne : il laisse quelque quatre cent mille francs de dettes et échappe de peu à la faillite. Il y a « produit littéralement une pièce par semaine depuis sept ans. Le total des ouvrages représentés est de 364 ».
Après un séjour en Turquie, où il jette les bases[...]
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Écrit par
- Bernard DORT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle (études théâtrales), professeur au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (dramaturgie)
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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