BAREAU ANDRÉ (1921-1993)
André Bareau a été la totale incarnation des vertus que requiert l'étude approfondie du bouddhisme et de celles qu'elle est susceptible d'apporter en retour. Né en 1921 à Saint-Mandé, il passa à dix-sept ans le concours de l'école normale d'Auteuil et s'y prépara au métier d'instituteur, mais son attirance pour la philosophie allait le conduire dans une voie différente. L'intérêt qu'éveilla bientôt en lui la pensée indienne l'entraîna vers l'apprentissage du sanskrit et du pāli et, par la suite, selon la solide tradition qui s'était établie dans notre pays depuis le xixe siècle, vers celui de ces autres langues essentielles pour l'approche historique du bouddhisme que sont le chinois et le tibétain. Il ne négligea pas non plus celui du japonais, que rendent si utile tant de travaux fondamentaux. Ses maîtres principaux furent Jean Filliozat et Paul Demiéville, et l'on voit à travers son œuvre, si riche en développements neufs, le lien qui n'a cessé de le rattacher à eux. Pour reprendre une expression fameuse, on dira qu'il fut celui à qui fut “transmise la lampe” qu'eux-mêmes avaient reçue des mains de Sylvain Lévi. Pourtant, dès son second ouvrage, intitulé Les Conciles bouddhiques (1955), on le voit qui remet en cause certaines de leurs positions, ce pour quoi, dans son Avant-propos, il sollicite leur indulgence avec une charmante courtoisie.
Sa thèse de doctorat ès lettres, éditée quatre ans plus tôt, était le fruit de son attention au problème qui se pose à propos de toute grande pensée religieuse et dont il avait voulu prendre la mesure en ce qui concerne le bouddhisme : L'Absolu en philosophie bouddhique. Évolution de la notion d'asaṃskṛta (c'est-à-dire d'incomposé). Dans le bouddhisme originel, seul avait été reconnu de nature incomposée, autrement dit impérissable, le nirvāṇa, ou extinction, mais, dans la doctrine de certaines écoles, la liste des incomposés allait s'allonger plus ou moins. André Bareau devait montrer un intérêt qui ne décrut jamais pour l'étude comparée des positions des écoles sur toutes les questions philosophiques ou disciplinaires. En témoignent aussi bien son éclairante étude Les Sectes bouddhiques du Petit Véhicule (1955) que de nombreux articles publiés par la suite et, aussi, ses résumés de cours, d'abord à la IVe section de l'École pratique des hautes études, où il fut chargé en 1956 d'une direction d'études de philologie des textes bouddhiques, puis au Collège de France, qui l'élut en 1971 professeur titulaire d'une chaire d'étude du bouddhisme. Par sa méthode rigoureuse, il est aussi de ceux qui ont le plus vigoureusement contribué à dégager la biographie du Buddha du lacis foisonnant des légendes qui l'entourent. Ne s'en remettant pas aux seuls textes, il s'est fait épigraphiste, archéologue, a suivi le Maître à la trace à travers toutes ses pérégrinations et constitué ainsi les bases d'une géographie du premier bouddhisme. La maladie a empêché l'achèvement de cette entreprise.
À ce philosophe qui connaissait le bouddhisme dans toute sa profondeur, rien de ce qui faisait la vie des pratiquants de cette grande religion n'était indifférent. Il porta le plus grand intérêt à ses communautés actuelles de l'Asie du Sud, tant cinghalaises que cambodgiennes (ainsi, d'ailleurs, qu'à l'histoire ancienne de Ceylan). Il savait répondre à des sollicitations de caractère thématique par des contributions remarquablement adaptées, tant par le fond que par la forme, à l'attente du destinataire. Il disait volontiers, quand on l'interrogeait sur le Grand Véhicule, comme le fit souvent le signataire de ces lignes, qu'il n'avait aucune compétence en ce domaine, mais les réponses qu'il se laissait aller à faire en fin de compte étaient[...]
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Écrit par
- Bernard FRANK : membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur au Collège de France.
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