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BAZIN ANDRÉ (1918-1958)

L’image et l’empreinte

Bazin n’a pas écrit de véritable traité, mais un recueil d’articles sélectionnés et ordonnés, dont il n’a pu superviser totalement que le premier de quatre tomes réunis ensuite en un seul volume, Qu’est-ce que le cinéma ? (1958-1962). Son point de départ, « Ontologie de l’image photographique », écrit en 1945, s’inspire de Malraux pour décrire la façon dont le cinéma parachève, en y ajoutant le mouvement, la fonction « réaliste » des arts plastiques telle qu’elle s’est développée à travers l’invention de la perspective, l’art baroque et la photographie. Si le « complexe de la momie », lutte contre le temps et la mort, oriente cette évolution de l’art, le cinéma est comme « la momie du changement ». Pourtant, photographie et cinéma sont d’un autre ordre. L’image y est produite mécaniquement et chimiquement par un appareil qui échappe, à l’instant de la prise de vue(s), à toute intervention humaine. La genèse de l’image cinématographique fait que c’est bien l’image de ce paysage ou de cet homme, fût-il un acteur, qui est produite. Photographie et cinéma bénéficient, constate Bazin, « d’un transfert de réalité de la chose sur sa reproduction » qu’on ne trouve ni dans la peinture ni dans la sculpture, fruits du geste humain de l’homme. Phénomène psychologique sans rien de magique ou de mystique : c’est « l’objectivité de la photographie [qui leur] confère une puissance de crédibilité absente de toute œuvre picturale », crédibilité renforcée dans le cas du cinéma par l’enregistrement mécanique du temps et du mouvement. « L’existence de l’objet photographié participe [...] de l’existence du modèle comme une empreinte digitale ». Rendant hommage à Bazin en 1958, Éric Rohmer parle de ce constat comme d’une « révolution à la Copernic ». En effet, jusqu’à Bazin, les théoriciens du cinéma cherchaient ce que cette technique pouvait ajouter à l’image, par le gros plan, le cadrage, le montage entre autres, qui manifestent l’intervention de l’artiste. Pour Bazin, le fondement du septième art tient simplement dans cette reproduction photo-mécanique du monde.

Bien sûr, le cinéma n’est pas condamné au pur duplicata, donc au réalisme documentaire, même si Bazin choisit ses exemples dans ce qui paraît, dans ces années 1950, le plus « moderne » : le néoréalisme de De Sica ou de Rossellini, l’utilisation de la profondeur ou du plan-séquence chez Renoir, Welles ou William Wyler. Bazin ne cesse de distinguer deux réalismes. À ce réalisme de base, inhérent à l’appareil cinématographique, qu’il qualifie de « réalisme technique » et surtout « ontologique », il oppose le « réalisme de contenu », celui de Maupassant, Zola ou Courbet, du reportage ou de Robert Flaherty. Or le réalisme ontologique joue tout autant dans une fantasmagorie de Méliès, où l’intérêt du public est fondé sur « la contradiction entre l’objectivité irrécusable de l’image photographique et le caractère incroyable de l’événement », que dans un film des frères Lumière. Poussé au plus loin de ses possibilités, le réalisme ontologique tend à identifier, dans l’esprit du spectateur, le monde et son image. Le cinéma devient alors un révélateur du monde, à condition de donner à ce mot son sens purement photographique. La seule obligation qui s’impose au cinéaste est de ne pas entraver ce réalisme technique en brisant la crédibilité d’une image ou d’une séquence par un montage intempestif à des fins dramatiques ou idéologiques, par exemple. Car pour Bazin, si le cinéma est bien un langage, il ne l’est que secondairement.

La pensée d’André Bazin a subi à partir des années 1960 les chocs successifs des vagues structuraliste et sémiologique, comme du « tout est politique ». Tombée dans un « sommeil paradoxal » (Hervé Joubert-Laurencin),[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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