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BEAUFRE ANDRÉ (1902-1975)

Saint-cyrien de la victoire, André Beaufre choisit l'armée d'Afrique et l'infanterie. Du Rif, où, blessé, il frôle la mort, à l'Indochine en passant par la Tunisie, l'Italie, l'Alsace et l'Allemagne, du grade de lieutenant (1924) à celui de colonel (1946), il se bat chez les tirailleurs. Mais aussi il étudie (à l'École de guerre, à l'Institut des sciences politiques), exerce des fonctions d'état-major (il approche et juge Gamelin et Weygand ; emprisonné par Vichy, il s'évade de France avec Giraud et collabore avec de Lattre de Tassigny) et accomplit des missions à l'étranger (avec Doumenc, en 1939, à Moscou ; avec Giraud, en 1943, aux États-Unis, au Canada et en Angleterre). Il aborde les grands commandements (Kabylie, Est constantinois puis, en 1956, à la tête de la force d'intervention terrestre à Suez) et les états-majors atlantiques. En 1960, général d'armée, il est chef de la délégation française auprès de l'instance supérieure de l'O.T.A.N, le groupe permanent siégeant au Pentagone.

Cette brillante carrière est néanmoins marquée par des déceptions, celles du Français en 1940, de l'Européen après le partage de Yalta, du chef victorieux contraint au rembarquement à Suez, de l'officier général confronté aux routines intellectuelles et à la prépondérance américaine au sein de l'O.T.A.N., de l'Occidental dont la civilisation recule. Placé, sur sa demande, dès 1961 dans le cadre de réserve, André Beaufre anime la revue Stratégie et élabore une œuvre où se superposent la relation du mémorialiste (Le Drame de 1940, 1965 ; La Revanche de 1945, 1966, L'Expédition de Suez, 1967), la critique de l'observateur et du journaliste international (L'O.T.A.N. et l'Europe, 1966 ; L'Enjeu du désordre, 1969 ; Stratégie pour demain, 1972 ; Crises et guerres, 1974), les constructions du théoricien (Introduction à la stratégie, 1963 ; Dissuasion et stratégie, 1964, Stratégie de l'action, 1966 ; Bâtir l'avenir, 1967) et les préoccupations du moraliste (La Nature des choses, 1969 ; La Nature de l'histoire, 1974).

Cette œuvre repose sur deux fondements. L'un, volontariste : contre l'empirisme politique à court terme et contre l'attitude défensive qui se borne à réagir à l'événement, il faut définir buts et moyens, et surtout « agir à temps ». L'autre, idéaliste : car c'est « l'idée qui doit dominer et diriger ».

Ainsi s'explique que soit mis l'accent sur les facteurs psychologiques et intellectuels dans la définition de la stratégie : « art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit », afin de « convaincre » l'adversaire « qu'engager ou poursuivre la lutte est inutile ». L'essence de la stratégie est « la lutte pour la liberté d'action ». Dépassant les données militaires, le général Beaufre fut l'un des premiers Français à étudier le concept de dissuasion nucléaire, mais il l'équilibre par le concept complémentaire de liberté d'action, notamment en matière de stratégie indirecte, « art de savoir exploiter au mieux avec un minimum de force et des moyens militaires souvent réduits la marge étroite de liberté d'action échappant à la dissuasion nucléaire ou politique ». La prospective se définit comme le « choix des actions contemporaines susceptibles de promouvoir celui des avenirs que l'on souhaite et d'empêcher ceux des avenirs que l'on redoute ».

Comme les facteurs à manipuler ressortissent à tous les domaines de l'activité humaine, une démarche analytique, classificatoire et combinatoire s'impose, qui « dissèque » les mécanismes et les niveaux de l'action. Une stratégie totale inspirée par la politique oriente les « stratégies générales[...]

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Écrit par

  • : maître de recherche au C.N.R.S., chargé d'enseignement à l'université de Paris-VII et à l'Ecole pratique des hau-tes études.

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