BERNE-JOFFROY ANDRÉ (1915-2007)
Ceux qui ont eu la chance de connaître André Berne-Joffroy garderont de lui le souvenir de l'amateur, au meilleur sens du terme, avec ce qu'il connote d'éclairé, d'ouvert. Toujours d'une parfaite courtoisie et pour mieux dire amabilité, ne se piquant jamais de rien mais généreux de ce qu'il savait, d'une mémoire exceptionnelle, il eut jusqu'au bout une étonnante présence, le souci de sa mise et de son maintien, le goût de la conversation ; malgré une santé qui, avec l'âge, lui donnait les apparences de la plus grande fragilité, il aimait les rencontres et continuait de recevoir, n'hésitant pas à montrer et commenter tableaux ou manuscrits ; autant de traces d'une vie riche en amitiés, protégée aussi par une discrétion souriante.
Né le 11 avril 1915 dans les beaux quartiers de Paris (le Pr Alix Jouffroy, élève de Charcot, était son grand-père), il avait eu une enfance douloureuse : pupille de la nation, il perdit sa mère durant l'adolescence. Après une scolarité difficile, il fit trois ans d'études de médecine – et passa la « drôle de guerre » comme ambulancier... Ayant renoncé à la carrière médicale, cet admirateur du Journal de Gide s'oriente vers les lettres et obtient, en 1941, un diplôme d'études supérieures de philosophie. Démobilisé, il rencontre Félix Fénéon (à qui il présente des poèmes), Bernard Groethuysen, Paul Valéry ; il reçoit de Daniel-Rops la commande, chez Plon, de Présence de Valéry, qui paraît en 1944 (il est également l'auteur du Valéry de la Bibliothèque idéale, Gallimard, 1960). Il n'écrira plus par la suite qu'un livre – mais majeur, et apparemment dans un tout autre domaine : Le Dossier Caravage. Psychologie des attributions et psychologie de l'art, publié aux éditions de Minuit en 1959, avant d'être réédité par Yves Bonnefoy chez Flammarion en 1999 avec une Préface d'Arnaud Brejon de Lavergnée et les « remarques quasi posthumes » de l'auteur. Pour le reste, ses écrits se monnayent en articles, études, préfaces (dont une à la Vie de Rancé, 1986) – et catalogues de peinture, notamment celui de la première grande exposition Mondrian à Paris, en 1959. Proche de Jean Paulhan, il participa notamment à la relance de la Nouvelle Revue française (sous le titre de Nouvelle N.R.F., en 1953), dont il fut chroniqueur pendant une dizaine d'années, et publia régulièrement dans la revue pour médecins Bicolore. Il est décédé à Paris le 19 mars 2007.
André Berne-Joffroy, membre et un temps vice-président de l'A.I.C.A. (Association internationale des critiques d'art), fit tardivement carrière au musée d'Art moderne de la Ville de Paris, où il avait commencé de travailler à l'occasion de l'exposition Fautrier, en 1964, œuvrant en faveur de contemporains qu'il pouvait connaître, défendre, aimer – ainsi Lambert-Loubère, René Laubiès, Bernard Saby auxquels le liaient Armand Gatti et Pierre Boulez... Quoiqu'il ait pris soin de placer en exergue de son Caravage cette citation de Valéry : « On parle bien plus volontiers de ce que l'on ignore, car c'est à quoi l'on pense... », il a fini par prendre stature d'expert sur le sujet, surtout en Italie, où deux thèses lui ont été consacrées (1987 et 2002) et cet ouvrage traduit (2005). Il s'est encore trouvé mêlé, plutôt de près que de loin, à la succession de Henri Calet et au destin des manuscrits d'Artaud ; aux Décades de Cerisy et au Nouveau Roman ; au milieu N.R.F., déjà évoqué, et au Paragone de Roberto Longhi (connu par l'entremise de Francis Ponge) ; entre André Breton et Pascal Pia, à la querelle de La Chasse spirituelle, etc.
Sa grande affaire – ce qui ferait l'unité de ses curiosités – pourrait bien avoir été la critique : l'exercice de juger. La[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
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