COMTE-SPONVILLE ANDRÉ (1952- )
André Comte-Sponville tient une place particulière au sein de la philosophie française contemporaine. À l’exception d’Emmanuel Levinas et de Vladimir Jankélévitch, la morale a été la grande oubliée de nos philosophes. C’est sans doute la raison pour laquelle la publication en 1984 du premier tome du Traité du désespoir et de la béatitude.Le Mythe d’Icare, consacré à l’éthique, a marqué les esprits.
Son auteur, alors âgé d’à peine trente-deux ans, est né le 12 mars 1952 à Paris. Son enfance n’est guère heureuse. Dans un entretien à L’Express de septembre 2015, il confie : « J’ai vécu dans une famille déchirée, avec un père très méprisant, une mère aimante mais dépressive. » Plusieurs événements tragiques marqueront la suite de son existence. Au début des années 1980, sa mère met fin à ses jours et sa petite fille âgée de six semaines est emportée par une méningite foudroyante.
Une éducation religieuse et son engagement au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne le conduisent, adolescent, à envisager la prêtrise. Michel Onfray considère que cette éducation religieuse a laissé des traces et le qualifie de « chrétien athée ». Il a seize ans en mai 1968 : très marqué par cette période, il s’éloigne de la religion et prend deux ans plus tard la carte du Parti communiste, auquel il restera fidèle durant dix ans. En 1972, il intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où il a pour maître Louis Althusser dont il devient l’ami. Reçu à l’agrégation de philosophie en 1975, il exerce dans différents lycées avant de soutenir en 1983 une thèse de troisième cycle, Éléments pour une sagesse matérialiste, sous la direction de Marcel Conche (1922-2022). Nommé peu après à la Sorbonne, il n’y enseigne qu’une quinzaine d’années. Le succès mondial en 1995 de son Petit Traité des grandes vertus lui permet par la suite de vivre de ses publications et de ses conférences.
Un dialogue avec Marcel Conche
Quatre ans après la sortie du Mythe d’Icare, un second tome du Traité du désespoir et de la béatitude, Vivre, est publié. L’ensemble, loin de constituer un système philosophique, nous expose un art de vivre, quelque chose comme une sagesse que les penseurs du xxe siècle n’osaient plus proposer, et qu’on pourrait résumer ainsi : « Pour ne pas désespérer, il suffit de ne jamais rien espérer. » C’est en se délivrant de toutes les illusions liées aux « au-delà » (les illusions religieuses) ou aux « après » (les illusions eschatologiques au cœur des philosophies de l’histoire et de tous les progressismes) qu’on peut atteindre la sérénité. La plupart de ses ouvrages ultérieurs creuseront le sillon tracé dans ce premier opus, jusqu’à La Clé des champs et autres impromptus (2023). André Comte-Sponville s’est exprimé sous deux formes principales : celle, classique, du traité moral, et la forme plus originale du recueil de propos ou d’aphorismes, inaugurée en 1996 avec Impromptus, poursuivie avec Du corps (2009), Contre la peur et cent autres propos (2019), et que l’on retrouve dans La Clé des champs.
Pendant plus de cinquante ans, André Comte-Sponville a été l’ami fidèle de Marcel Conche, sans qu’on puisse pour autant le considérer comme son disciple. Il en est plutôt, sur de nombreux plans, l’héritier. Qu’a-t-il retenu de la pensée de son professeur et directeur de thèse ? Quatre éléments fondamentaux. D’abord la conviction que la philosophie est grecque. Épicure, les stoïciens et les cyniques n’ont jamais cessé d’alimenter les réflexions de Comte-Sponville. Ensuite la découverte de Montaigne, dont la lecture tardive avait été une véritable révélation pour Marcel Conche, qui a transmis à son étudiant sa passion pour l’auteur des Essais. En troisième lieu, son naturalisme athée, même s’il se révèle fort différent chez les deux philosophes.[...]
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
Classification
Média