FROSSARD ANDRÉ (1915-1995)
Étrange parcours, tracé droit par des lignes courbes, qui conduisit le fils de L. O. Frossard, premier secrétaire général du Parti communiste français en 1920, onze fois ministre de la IIIe République, à devenir l'ami, le confident, le porte-idées d'un pape polonais, Jean-Paul II Wojtyla, qui a tant contribué à ruiner le pouvoir communiste en Europe et en Russie. Juif du côté paternel, protestant du côté maternel, André Frossard est né en 1915 près de Belfort. Peu attentif aux études qu'il mène à Paris (du lycée Buffon, il entre à l'École des arts décoratifs), il se passionne pour le dessin et l'écriture : caricatures et brefs essais dans la presse politique. Il restera jusqu'à sa mort journaliste et écrivain.
Il a vingt ans quand, le 8 juillet 1935, un ami journaliste, André Willemin, lui donne rendez-vous rue d'Ulm. Entrant pour l'attendre dans la chapelle de l'Adoration, il y est converti au catholicisme dans une vision lumineuse ; il demande le baptême, et Aniouta Fumet lui tient lieu de marraine. Il attendit trente-quatre ans (et sous la demande pressante d'un autre filleul d'Aniouta, le dominicain Jean de Menasce) pour en faire le récit : Dieu existe, je L'ai rencontré (1969), immense succès international (seize traductions, dont deux diffusées en samizdat dans les pays de l'Est). Entre-temps, il avait acquis une double identité : celle du journaliste professionnel, à la plume aiguisée, et celle du catholique pratiquant.
Fidélité professionnelle. Il écrivit son billet quotidien (“Cavalier seul”) – à L'Aurore puis au Figaro – depuis 1946 jusqu'à la veille de sa mort. Fidélité religieuse. À quoi il faut joindre une fidélité politique, celle qu'il montra au général de Gaulle (“Je suis gaulliste parce que j'ai horreur du pouvoir personnel”). Officier du chiffre de la Marine de 1936 à 1945, il est arrêté à Lyon pour ses activités de résistant. Interné à la prison de Montluc de décembre 1943 à août 1944, il écrivit en quelques semaines La Maison des otages (1944), réflexion émouvante sur les horreurs du racisme et de la haine. Le récit de sa conversion et son étonnant succès le projetèrent dans la sphère du religieux : Il y a un autre monde (1976), marqué par la douloureuse expérience de la perte de deux enfants ; les Trente-Six Preuves de l'existence du diable (1978) ; une biographie de saint Vincent de Paul, Votre Humble Serviteur (1960) ; il écrira aussi un livre sur Maximilien Kolbe, N'oubliez pas l'amour. La passion de Maximilien Kolbe (1987). Observateur attentif – et inclassable – de la société française (La France en général, 1975 ; Excusez-moi d'être français, 1992), il attendit quatorze ans pour analyser les événements de Mai-68 : ce livre, dont le titre biblique (La Baleine et le ricin, 1982) évoque les tribulations du prophète Jonas dans Babylone la grand'ville, désempara les esprits conservateurs. “Ce ne fut pas une révolution, mais quelque chose de beaucoup plus rare : un tremblement d'histoire accompagné d'un grand ébranlement de structures et d'un vaste remous de barricades.”
Membre de la délégation française au sacre de Jean-Paul II, André Frossard apprend que le nouveau pape a lu Dieu existe, je L'ai rencontré. De leur relation résultent une amitié durable et plusieurs livres, dont un recueil d'entretiens : N'ayez pas peur ! Dialogue avec Jean-Paul II (1982). Frossard, qui a déjà écrit un Art de croire (1979), façonne les idées du philosophe polonais (et l'exposé méthodique de la théologie catholique) au rythme de son style et de formules à la fois simples, justes et percutantes (Portrait de Jean-Paul II, 1988 ; Dieu en questions, 1990 ; Défense du pape, 1993). Il est aussi l'auteur d'un Chemin de la Croix (1986),[...]
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Écrit par
- Jean-Robert ARMOGATHE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, sciences religieuses
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