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GIDE ANDRÉ (1869-1951)

L'Afrique du Nord : le dépaysement

On connaît la célèbre phrase adressée par Gide en 1897 à Maurice Barrès, chantre du nationalisme : « Né à Paris, d'un père uzétien et d'une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m'enracine ? J'ai donc pris le parti de voyager. » On retrouve là l'idée d'une origine marquée par la division et le dédoublement, mais, surtout, contre l'enracinement dans la terre des morts, l'apologie du nomadisme. Celui-ci eut une patrie idéale : l'Afrique du Nord, pour laquelle Gide s'embarqua pour la première fois à vingt-quatre ans avec son ami Paul Albert Laurens. De 1893 à 1900, Gide y retourne à six reprises, jusqu'à en faire le séjour de son voyage de noces avec Madeleine en 1895-1896. Gide a longuement raconté, dans Si le grain ne meurt, l'expérience pédérastique, l'expérience de liberté, sa rencontre avec Oscar Wilde et ce qui s'ensuivit, mais il serait réducteur de limiter cette aventure à une seule de ses dimensions. De ces premiers voyages, Gide a recueilli la substance de livres importants : Les Nourritures terrestres (1897), des « journaux », comme Feuilles de route et surtout ceux, moins connus, qui ont été recueillis dans l'admirable Amyntas (1906), et un roman, L'Immoraliste (1902). On pourrait ajouter que c'est au retour de son premier séjour qu'il peut écrire Paludes (1895) : ce livre, qui contient peu d'allusions à l'expérience du désert, est néanmoins un livre jumeau des Nourritures terrestres qui, lui, en est comme saturé. Dans ces deux écrits s'opère la même rupture à l'égard du symbolisme et du « fétichisme » littéraire de l'époque : par l'ironie (Paludes n'est autre que l'histoire d'un monsieur qui écrit Paludes...) ou par le lyrisme (Les Nourritures terrestres exaltant le désert contre la littérature de laboratoire), il s'agit bien de s'affranchir de la mystique du livre par une écriture de la présence, de la sensation et de l'immédiat. L'Immoraliste opère une sorte de synthèse entre toutes ces découvertes libératrices. Lors de son voyage de noces avec sa femme Marcelline, le héros, Michel, englué dans le savoir et l'érudition, fait au travers de la maladie (une tuberculose identique à celle dont Gide souffrit en Algérie en 1894) l'expérience d'une sorte de résurrection par laquelle toutes ses valeurs se voient inversées. Le voilà immoraliste jusqu'au point où, lors d'un second voyage, alors que c'est Marcelline qui tombe malade, il la laisse mourir pour rejoindre le « glissement clandestin d'un burnous blanc » : celui d'un jeune Arabe, Moktir.

On le voit, l'Afrique du Nord apparaît pour Gide comme une seconde naissance, d'où il revient porteur d'une nouvelle dimension de lui-même dont il nourrira une grande partie de son œuvre et qui sera comme un contrepoids à la part morale, protestante, parfois mystique, qu'il contient par ailleurs en lui.

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André Gide - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

André Gide

<em>Une lecture</em>, T. van Rysselberghe - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture, T. van Rysselberghe

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