GIDE ANDRÉ (1869-1951)
De la guerre au prix Nobel
En 1939, Gide a publié le premier volume de son Journal (1889-1939), qui va constituer pour lui l'espace essentiel d'écriture des dernières années de sa vie. Son image de « démoralisateur de la jeunesse » auprès du régime pétainiste, ses combats passés le maintiennent à distance de toute compromission, même si, les premiers mois, Gide, comme beaucoup, vit la défaite de la France dans le plus grand désarroi. Il rompt très rapidement avec La N.R.F., passée aux mains de Drieu la Rochelle, et, en 1941, est empêché physiquement par des collaborateurs de prononcer une conférence sur Henri Michaux, qu'il vient de découvrir. Outre son Journal, Gide, pendant cette période, traduit Hamlet (1944). C'est là aussi une dimension de l'écrivain qu'on a tendance à oublier : cette attirance pour les littératures étrangères qui l'a déjà amené à traduire Conrad, Tagore, Blake, Pouchkine, Whitman... Ces dernières années sont aussi pour lui l'occasion de renouer avec un thème qui le hante depuis longtemps : la figure du héros grec Thésée, dont il fait le personnage principal de son dernier récit publié sous ce titre en 1946. Ce qui l'attire dans Thésée, c'est l'image de l'aventurier auquel, malgré ses apparentes allures de moraliste, il s'identifie pleinement : « Je ne suis peut-être qu'un aventurier », écrivait-il dans son Journal. Gide avait déjà manifesté sa sympathie pour la manière dont Œdipe avait vaincu le Sphinx (notre monstre intérieur). Mais Thésée va plus loin, selon lui, dans sa puissance presque nietzschéenne qui l'amène à s'affranchir des lois, du passé, des contraintes. Thésée est l'homme libéré de la mauvaise conscience, du ressentiment : vainqueur du labyrinthe et du Minotaure, il est aussi celui que l'ardeur à jouir des choses amène également à passer perpétuellement outre, jusque dans l'abandon d'Ariane à Naxos. Ce bref récit est une sorte de testament au travers duquel, par un dernier hommage à l'Antiquité grecque, Gide questionne à nouveau l'homme contemporain et traque ses dernières peurs comme ses ultimes possibles.
En 1947, Gide obtient le prix Nobel de littérature, mais refuse, malgré les pressions, d'entrer à l'Académie française, et consacre son temps à écrire l'adaptation du Procès de Kafka pour le théâtre, que Jean-Louis Barrault mettra en scène. Il meurt le 19 février 1951 d'une congestion pulmonaire.
L'influence de Gide est difficile à apprécier, tant son œuvre est protéiforme, contradictoire et dérangeante. Cette perpétuelle oscillation, ce jeu de duplicité, ce désir perpétuel de surprendre a créé davantage une constellation de lecteurs qu'une phalange de disciples fanatiques. Pourtant, toute une génération s'est laissé prendre à la séduction de ses divers masques : Roland Barthes, Jean-Paul Sartre, Jacques Lacan, Maurice Blanchot, Alain Robbe-Grillet et tout le nouveau roman... Ce que les contemporains peuvent retrouver en lui, c'est, au-delà du moraliste et de l'immoraliste, une écriture totalement ouverte à l'énigme du désir, au questionnement sur soi et à la mobilité perpétuelle de l'être.
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Écrit par
- Éric MARTY : chercheur au C.N.R.S.
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