ANDRÉ LE CHAPELAIN (XIIe-? XIIIe s.)
Condamné, en 1277, par l'évêque de Paris, Étienne Tempier, le De amore d'André le Chapelain n'a pas fini d'alimenter les controverses sur le sens de l'ouvrage et l'identité de l'auteur. Le livre présente une facture antithétique, la première partie célébrant la femme, la courtoisie et la prééminence de l'amour, la seconde développant l'antiféminisme le plus extrême et vitupérant l'amour, qui n'est que licence et folie.
Andreas Capellanus a manifestement suivi des études religieuses, bien que le titre de chapelain n'implique pas nécessairement qu'il fût prêtre. La comtesse Marie de Champagne et la cour de Troyes occupent une place importante dans la vie de l'auteur et dans la composition de l'ouvrage, qui daterait, selon toute vraisemblance, de 1186. Dans une des régions les plus riches de France s'esquissait alors, à l'instar du Languedoc, une civilisation dont on a jusqu'à présent sous-estimé l'importance. Que la courtoisie ou affinement des passions de l'amour puisse apparaître à une classe, sinon à une société tout entière, comme la plus haute préoccupation traduit pourtant, dans l'histoire de l'humanité, une orientation peu commune et qui mériterait réflexion. Une même hâte s'emploie, au sud, à anéantir les cours d'amour, déjà gagnées par le catharisme, et, au nord, à les récupérer dans un absolutisme amoureux qui prend sa source en une transcendance divine ; un tel souci apparaît chez saint Bernard.
Jamais dans le cadre d'une société patriarcale et hiérarchisée, la femme n'a occupé une place aussi prépondérante ; jamais elle n'a joui d'autant de droits, même si, comme il apparaît dans le De amore, les rapports de classes demeurent déterminants. Jamais il n'a été aussi nécessaire de rabaisser celle en qui la voix de la nature se fait entendre avec une telle séduction. C'est dans cette ambiguïté qu'il convient de situer l'œuvre d'André le Chapelain.
Le texte s'adresse à un certain Gautier, dont on ne sait rien et qui joue peut-être le rôle de personnage fictif, exigé par la convention de la forme dialoguée. Inspiré par le souvenir d'Ovide, mais aussi par l'entourage de Chrétien de Troyes et les réminiscences de la matière de Bretagne, l'exposé part de la définition de l'amour pour s'interroger sur la quête permanente de la perfection érotique et sur l'effort constant de dépassement.
L'amour ne s'accorde pas de la contrainte ; ainsi la courtoisie exclut-elle le mariage. S'appuyant sur l'autorité de la comtesse de Champagne, André déclare : « Nous affirmons comme pleinement établi que l'amour ne peut étendre ses droits entre deux époux. Les amants, en effet, s'accordent mutuellement toute chose gratuitement, sans qu'aucune obligation les pousse. » Parce que « le corps de la femme appartient à son maître » dans la relation conjugale, il ne peut y exister de fin'amors. L'affinement s'obtient dans les obstacles que l'amante oppose au désir, qui, sans cela, s'épaissirait dans la matière brute de l'amor facilis. En aucun cas il ne s'agit d'un amour désincarné ou spiritualisé. « L'amour, précise-t-il, est une passion naturelle qui naît de la vue de la beauté de l'autre sexe et de la pensée obsédante de cette beauté. On en vient à souhaiter, par-dessus tout, de posséder les étreintes de l'autre et à désirer que, dans ces étreintes, soient respectés, par une commune volonté, tous les commandements de l'amour. »
La dame « ne doit se livrer, proportionnellement aux mérites de l'aimé, que par degrés et selon le procès prévu ». Et l'auteur de préciser les degrés, au nombre de quatre : donner des espérances, offrir le baiser, s'adonner[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
Classification
Autres références
-
COURTOISIE
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Paul ZUMTHOR
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...Châtelaine de Vergi. Cependant, c'est en Champagne probablement, à la cour de la comtesse Marie, que pour la première fois, vers 1185, un clerc, André Le Chapelain, imagina de codifier les lois de la « fine amour ». Son De amore, poussant jusqu'à l'absurde une « doctrine » qu'aucun Occitan...