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LE NÔTRE ANDRÉ (1613-1700)

Le projet de Versailles

Ce retour en force de l'État, perceptible dans bien d'autres domaines, va appuyer sur de nouvelles institutions. Au cénacle d'artistes et d'écrivains (dont les Scudéry), que Fouquet avait constitué pour élaborer son projet, Louis XIV va substituer l'Académie d'architecture, et surtout celle des sciences. Il faut en effet concevoir le projet versaillais comme un travail collégial, orchestré par Colbert lui-même, où les académiciens des sciences sont impliqués à tous les stades. Mariotte travaille sur la question des fontaines et de leur rendement, et conçoit à cet effet les premières conduites forcées en fer, dont certaines fonctionnent encore aujourd'hui. Tandis qu'il commence la première carte de France triangulée, que les Cassini achèveront au milieu du xviiie siècle, l'abbé Picard travaille au nivellement du grand canal et vérifie l'éventualité d'une jonction avec la Loire ; cela grâce à l'adaptation, pour la circonstance, de la lunette de Galilée sur le graphomètre ou demi-cercle utilisé antérieurement par les topographes. Ce nouvel instrument à lui seul explique la dimension inusitée qui a pu être donnée au jardin de la demeure royale. D'ailleurs, la même année (1678), une équipe de géographes est rémunérée pour tracer dans la plaine les allées du parc et faire le levé de la carte ; opérations qui sont donc concomitantes, et expliquent aisément la géométrie à base de triangles composant le grand parc.

Parterres de l'Orangerie du château de Versailles - crédits : Lyubov Timofeyeva/ Shutterstock

Parterres de l'Orangerie du château de Versailles

De même les plantations massives effectuées à Versailles de 1668 à 1672, et qui se traduisent par l'apport de cent trente mille arbres, ne sauraient être dissociées de la grande « réformation forestière » de 1669, dont le but est d'inventorier, de revaloriser la forêt française, et d'en optimiser la gestion.

Les règles d'assemblage des éléments composant le jardin classique, telles qu'elles sont formulées dans le traité de Boyceau de La Baraudière, puis dans celui de Désallier d'Argenville qui est en quelque sorte le résumé des préceptes de Le Nôtre, constituent en fait la première façon de définir et d'organiser à l'aide de concepts un espace non bâti. Par rapport à cette méthodologie horticole, le quadrillage homogène des projets de villes qui lui sont contemporains apparaît d'une grande pauvreté. La différenciation des espaces propres à l'urbanisme moderne prend naissance dans le jardin classique où les lieux et les fonctions se distinguent qualitativement par contiguïté, par transition, par degré de densité. Le parc, avec sa codification, son classement des variations végétales et leur disposition graduée, institue en quelques sorte un zonage. À la limite, il n'y a plus de parc, il n'y a que des espaces de transition savamment ordonnés entre l'architecture du bâtiment et la campagne ou la forêt.

Véritable opération d'aménagement à l'échelle régionale, le projet de Versailles est un lieu d'expérience pour les techniques de pointe du dernier quart du xviie siècle. Le réseau des étangs artificiels, reliés par des aqueducs maçonnés, s'étendant jusqu'à Rambouillet, afin de récupérer et conduire les eaux pluviales pour alimenter enfin les jets d'eau du parc royal, en est l'apothéose. Le Nôtre participe à tous ces aménagements, quand il n'est pas à l'origine même des idées. On le trouve au hasard des comptes des bâtiments du roi, chargé un jour par exemple de surveiller la fabrication et la mise en œuvre d'une pompe dotée de pistons à segments de cuir. Mais le plus intéressant dans le domaine hydraulique, c'est encore l'anecdote rapportée par l'académicien Perrault dans ses Mémoires : un matin de rendez-vous de chantier, Le Nôtre avait rêvé de voir les navires de la Méditerranée venir mouiller dans le grand canal, cela grâce à un réseau de [...]

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Écrit par

  • : diplômé du Centre d'études supérieures d'histoire et de conservation des monuments anciens, architecte des Bâtiments de France

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Parterres de l'Orangerie du château de Versailles - crédits : Lyubov Timofeyeva/ Shutterstock

Parterres de l'Orangerie du château de Versailles

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