LUGUET ANDRÉ (1892-1979)
Né à la fin du siècle dernier, André Luguet a illustré, tout au long de sa carrière, la souplesse de ces comédiens qui ont su évoluer avec les techniques du cinématographe et adapter leur personnalité à toute une variété d'emplois fonctionnels et typés.
Le sourire narquois, la tranquillité britannique, alliés à une diction phrasée, scandée, mais sans grandiloquence, ont permis à cet éternel « gentleman » de donner un charme bien particulier aux multiples personnages qu'il a incarnés, à l'écran comme à la scène. Ses débuts au cinéma remontent à la Première Guerre mondiale. Il tourne des bandes, témoins du goût de l'époque, mélodrames sublimés (Gloria, La Fiancée morte) ou aventures feuilletonnesques (Les Cinq Gentlemen maudits, 1920).
Il réalisera même un film, Pour régner (1926), mais c'est à l'avènement du parlant que sa carrière de comédien va se dessiner : il rejoint les Français de Hollywood, qui expérimentaient un cinéma plus « physique ». On le retrouve en 1929, au côté de Buster Keaton, dans Buster se marie, sous la direction inattendue de Claude Autant-Lara. Mais c'est avec Jacques Feyder que l'acteur prendra conscience des réelles possibilités du parlant. En tournant deux films avec lui, il découvre la politique des studios Metro Goldwyn Mayer, qui s'efforcent déjà de consolider leur image de marque : ce sont Le Spectre vert puis Si l'Empereur savait ça ! au côté de Françoise Rosay.
Après son expérience américaine, André Luguet tournera en France, avec Anatole Litvak, Cœur de lilas. Il a pour partenaire une comédienne très étonnante, Marcelle Romée, qui fait basculer l'intrigue dans le tragique. Mais Luguet n'est pas encore ce personnage léger et charmeur qu'il deviendra par la suite ; il faudra attendre son rôle au côté de Suzy Prim dans Les Amants terribles, d'après la pièce de Noël Coward, qui lui soit définitivement reconnu sa légendaire « élégance britannique ».
Il va beaucoup tourner à cette époque, des petites choses sans postérité que les acteurs sauvaient de l'absence de mise en scène ou des films plus honorables signés Henri Decoin, tel Battements de cœur en 1939. Le comédien, parallèlement, brûlait les planches dans des mélodrames mondains au théâtre des Ambassadeurs, où il créa Bernstein mais aussi Pirandello.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'essayera, avec plus ou moins de bonheur, à la comédie américaine, en formant un couple « idéal » avec Annie Ducaux (Florence est folle, L'Inévitable M. Dubois) ou encore avec Edwige Feuillère, dans L'Honorable Catherine de Marcel L'Herbier. La fantaisie de l'acteur éclate encore dans Le Mariage de Chiffon au côté d'Odette Joyeux. Il traverse les situations les plus conventionnelles en manifestant un étonnant recul. Avec intelligence, il infléchit ses rôles d'éternel jeune premier vers la composition. Curieusement, avec l'âge, il développe un aspect encore plus fantasque et farfelu de son talent. Dans les années 1950 et 1960, il est par deux fois le partenaire de Bardot dans Une ravissante idiote et Une Parisienne. Dans le premier de ces deux films, il anime un personnage archétype : l'Anglais lunaire, bon-chic, bon-genre. Mais c'est au théâtre qu'il connaîtra un de ses plus grands succès avec Lorsque l'enfant paraît, qu'il reprendra au cinéma sous la direction de Michel Boisrond. Il tournera régulièrement jusqu'à la fin des années 1960 des films de série mais où ses compositions seront toujours remarquées, de Pleins Feux sur Stanislas à La Maison de campagne où il forme avec Denise Grey un couple on ne peut plus nostalgique lié aux petites comédies des années 1930 et 1940.
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
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