GRÉTRY ANDRÉ MODESTE (1741-1813)
Asino in musica, « âne en musique », avait écrit de Grétry son maître romain, savant contrapuntiste, depuis longtemps oublié : J. B. Casali. Il convient plutôt de traduire : « âne en contrepoint ». Cependant, le musicien liégeois devait connaître le succès : à Rome, tout d'abord, où ses premières œuvres furent appréciées (1766), à Genève ensuite (1767), où il reçut les encouragements de Voltaire qui, après l'avoir orienté vers Paris, le consolait d'un premier échec à la cour par ce quatrain célèbre :
La cour a dénigré tes chants
Dont Paris a dit les merveilles,
Grétry, les oreilles des grands
Sont souvent de grandes oreilles.
Quelles furent les raisons de son succès ? Fidèle à la leçon de ses modèles italiens, il adaptera un art riche et spontané non seulement à la langue des Français, mais encore à la sensibilité du temps, déjà préromantique. Il parvint, par une ligne mélodique d'une infinie simplicité, à rendre le contenu et la substance d'un texte dans un langage musical qu'il voulait « parlant au cœur ».
Exclusivement connu comme musicien lyrique, Grétry semble avoir été séduit, au début de sa carrière, par la musique instrumentale. Néanmoins, celui que Méhul nommait « le Molière de la comédie lyrique » a donné le meilleur de son talent à l' opéra-comique. Grâce à son humour, il a dominé la mièvrerie et la sensibilité du xviiie siècle finissant et son renom a subsisté par quelques œuvres majeures comme Zémire et Azor, Richard Cœur de Lion et Guillaume Tell, et le ballet de Céphale et Procris.
L'homme et l'esprit
Né à Liège, capitale d'une principauté d'Empire, André Modeste Grétry, comme autrefois Henri Du Mont, choisit de vivre dans le pays dont il parlait la langue : la France. Cependant, l'attraction de l'Italie était inévitable et, de 1759 à 1767, c'est à Rome que le musicien, boursier d'une fondation liégeoise (la fondation Darchis), reçut sa formation.
Lorsque, en 1765, le musicien avait présenté l'examen de l'Académie philharmonique de Bologne, il avait réussi cette épreuve – comme cinq ans plus tard le jeune Mozart – grâce à l'aide du bon padre Martini. La rigueur de l'enseignement romain l'avait détourné d'une tradition désuète, et toute son admiration allait aux maîtres de l'heure : Pergolèse, Buranello, Vinci, Piccinni, Terradellas. Dès son enfance liégeoise, c'est à la comédie italienne, installée sur les quais de la Meuse, qu'il avait appris à chanter, ce que son maître de la collégiale Saint-Denis n'avait pu lui enseigner. On peut lire dans ses Mémoires l'histoire de ses « malheurs » et de cette curieuse éducation musicale, totalement dépourvue de principes pédagogiques.
Lorsqu'il vint à Paris, en 1768, la querelle des Bouffons s'apaisait. Entre les partisans de la musique italienne et les apologistes de la musique française s'étaient insérés des musiciens comme Monsigny, Philidor et Duni ; ils avaient adapté l'opéra-comique à la napolitaine aux traditions musicales françaises. Le genre était nouveau, le langage désuet. Grétry devait les surpasser.
Cependant, sa première œuvre représentée à Paris, Les Mariages samnites (1768), fut jugée trop italienne, et sa ligne mélodique, trop ornée, ne convenait pas à la langue française. Comme Lulli, un siècle plus tôt, il se rendit à la comédie afin d'y observer l'exacte prononciation de la langue et les règles essentielles de son expression. Désormais, il y sera attentif, et ce n'est pas sans raison qu'en 1779 Grimm déclarait dans sa Correspondance « qu'il n'y a jamais eu de compositeur qui ait su adapter plus heureusement que Grétry la mélodie italienne au caractère et au génie de notre langue ».
Deux éléments lui[...]
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Écrit par
- Suzanne LEJEUNE-CLERCX : professeur ordinaire à l'université de Liège
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