GRÉTRY ANDRÉ MODESTE (1741-1813)
L'œuvre, les étapes de son succès
Quelques témoignages subsistent d'œuvres instrumentales interprétées à Rome et publiées à Paris en 1768. Cependant, les compositions lyriques de Grétry firent son renom : plus de quarante opéras-comiques, représentés à Paris, dans les résidences royales de Versailles ou de Fontainebleau et à l'étranger, soulignent les étapes de sa carrière.
Écrits dans un style et un esprit qui lui sont particuliers, ces ouvrages se distinguent cependant par les sources de l'inspiration littéraire et par la personnalité du librettiste, qu'il s'agisse de Sedaine, de Marmontel s'inspirant de Voltaire ou de Pitra adaptant Racine. Comédies, contes, pastorales, turqueries, sujets historiques, un ballet héroïque, Céphale et Procris, Andromaque, la seule tragédie lyrique, se suivent, témoignent, malgré leur diversité, d'une personnalité assurée.
Dès ses premières œuvres apparaissent les principaux caractères de son style. La forme générale en est fixée. L'ouverture à l'italienne en trois mouvements (vif, lent, vif), simple lever de rideau, évolue cependant dans sa thématique, qui annonce le caractère de l'œuvre ou la psychologie des personnages. Le tutti final ne varie guère non plus, associant instruments, chœur et solistes dans une atmosphère de joie et d'immuable optimisme ; Grétry surpasse, toutefois, ce climat dans le finale de Céphale et Procris, où il atteint cette générosité et cet amour de l'humanité préludant à l'Ode à la joie de la IXe Symphonie de Beethoven. Mais les particularités de l'écriture et la sensibilité du musicien se manifestent surtout dans les airs et les ariettes par la simplicité du chant et une subtile adaptation à la psychologie du personnage. Deux formes les distinguent : la manière italienne en da capo (A-B-A) ou le rondeau français que distingue l'alternance de couplets et de refrains. Dans les deux cas, le retour à l'air initial, accompagné de son texte, tout irrationnel qu'il soit, était naturel et appartenait à une dialectique musicale classique qui ne pouvait, en ce temps, choquer les esprits. Du reste, la subtilité de l'expression dominait la forme : en place des « roulades » à l'italienne, des triolets soulignent les syllabes fortes, des tremblements de notes jumelées révèlent les mots clés ; les intervalles mélodiques, adaptés aux caractères, s'élèvent jusqu'à l'excès dans le comique et confinent au chromatique dans les épisodes sensibles ou les passages tragiques. Une telle attention portée à l'expression ne pouvait s'associer à une richesse de l'orchestre qui en eût détruit les effets. L'instrumentation de Grétry n'est pas pauvre, elle est justifiée : comme les symphonies de cette époque, elle est constituée du quatuor à cordes (pouvant être doublé ou légèrement multiplié) tandis que les flûtes, les hautbois, les cors soulignent le caractère pastoral, la couleur exotique du sujet, ou encore les « trompettes guerrières » créent l'atmosphère de combat, comme dans Les Mariages samnites où apparaît un thème énergique, prélude à celui de La Marseillaise.
Ces qualités et cette attention à la juste adaptation de l'écriture musicale aux caractères des personnages, aux jeux mouvants de l'action, à l'atmosphère exotique ou historique des sujets, il ne faut plus les chercher dans les œuvres écrites après 1790. L'optimisme naturel de Grétry, né au « pays des bonnes gens », s'était mué en mélancolie. Les horreurs de la Révolution – dont cependant il épousait les principes de générosité humaine – et la mort de ses filles avaient assombri ses dernières années. Témoin et interprète d'une sensibilité propre au siècle des Lumières, Grétry, imprégné des charmes de la mélodie italienne, mais soucieux de rationalisme, appartient à la lignée[...]
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Écrit par
- Suzanne LEJEUNE-CLERCX : professeur ordinaire à l'université de Liège
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