NERCIAT ANDRÉ ROBERT DE (1739-1800)
On a pu voir en Nerciat un parfait exemple de l'immoralité et de la corruption de l'aristocratie à la fin de l'Ancien Régime. Guillaume Apollinaire, qui a publié en 1910 une édition assez complète de ses œuvres dans la Bibliothèque des curieux, avec « des morceaux ignorés, des documents nouveaux et des pièces inédites », termine par ces mots l'éloge qu'il fait de lui en introduction : « Psychologue subtil et raffiné, esprit dégagé de tous les préjugés, écrivain délicieux, aux néologismes presque toujours heureux, personnage équivoque et séduisant, le charmant auteur de Félicia finissait en même temps que le xviiie siècle dont il est l'expression la plus délicate et la plus voluptueuse. »
Il est vrai qu’André Robert de Nerciat ne survécut pas au siècle et à la Révolution. Il est né le 17 avril 1739 à Dijon, où son père était trésorier du parlement de Bourgogne. Il choisit d'abord le métier des armes. S'étant retiré avec le rang de lieutenant-colonel, il voyage en Europe, occupe différentes charges près des princes allemands (1780-1781), est envoyé par le roi pour soutenir les insurgés de Hollande contre le stathouder. À la Révolution, il émigre. À Naples, dont sa famille est originaire, il gagne la confiance de la reine Caroline. Elle le charge d'une mission à Rome, mais là, il se fait prendre par les armées de la République française et il est mis au cachot. Il n'est libéré qu'en 1800 et meurt aussitôt, à Naples, des suites de sa détention. La plupart de ses papiers ont été perdus. D'ailleurs, tous ses livres avaient paru sous le voile de l'anonymat, ce qu'on comprendra aisément, si l'on considère le but que se donnait l'auteur, et qu'il exprime dans l'une de ses préfaces : « L'intention de l'auteur est d'engager les femmes à n'être pas si timides et à trancher les difficultés, les maris à ne pas se scandaliser aisément et à savoir prendre leur parti ; les jeunes gens à ne point faire ridiculement les céladons, et les ecclésiastiques à aimer les femmes, malgré leur habit, et à s'arranger avec elles sans se compromettre dans l'esprit des honnêtes gens. »
On peut citer comme étant de ses œuvres des Contes nouveaux (1777), Félicia ou Mes Fredaines (1778), Monrose ou le Libertin par fatalité (1797), qui est une suite de Félicia, les Aphrodites ou Fragments thalipriapiques pour servir à l'histoire du plaisir (1793), Constance ou l'Heureuse Témérité (1780), Dorimon ou la Marquise de Clavelle, L'Urne de Zoroastre ou la Clef de la science des mages, Les Galanteries du jeune chevalier de Faublas ou les Folies parisiennes, plagiat des Amours de Faublas que Louvet venait de faire paraître, etc. Ajoutons une œuvre posthume, Le Diable au corps (1803).
Mais c'est essentiellement pour son roman Félicia qu'il est encore connu et apprécié de nos jours par les connaisseurs. Dans sa Correspondancelittéraire, F. M. de Grimm en donne ce résumé : « Il est peu de catéchismes de libertinage et de corruption plus naïfs et plus effrontés que ce nouveau roman. On n'y trouve pas même l'apparence d'un sentiment moral. C'est l'histoire d'une jeune personne qui depuis l'âge de quatorze ans se livre sans scrupule à tous ses goûts, a longtemps, sans le savoir, le bonheur d'être la maîtresse entretenue de son père, de donner à son frère, sans le connaître, les premières leçons de plaisir, etc., et se voit récompensée enfin de tant de sagesse et de vertus par toutes les faveurs qu'on peut attendre d'une destinée heureuse. »
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Écrit par
- Denise BRAHIMI : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, professeure agrégée des Universités (littérature comparée), université de Paris-VII-Denis-Diderot
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