GURSKY ANDREAS (1955- )
Généralement de grand format et d'une précision troublante, les photographies d'Andreas Gursky peuvent donner au spectateur l'illusion de posséder une vision omnisciente. Lorsqu'une rétrospective de ces clichés le permet, comme ce fut le cas au Museum of Modern Art de New York en 2001, cette perception hallucinatoire s'étend au véritable portrait de la société contemporaine que compose l'ensemble du travail de Gursky. Dans une œuvre qui s'apparente à un répertoire des structures économiques et sociales, l'image d'employés alignés dans des box de la Bourse de Hong Kong (1994), celle d'un étalage de marchandises diverses au prix unique de 99 Cents (1999) ou celle des rayonnages d'une Bibliothèque (1999) tendent à se confondre.
Depuis le début des années 1980, Andreas Gursky, photographe allemand, né en 1955 à Leipzig, a ainsi élaboré un panorama du monde moderne dont le caractère programmatique peut rappeler l'ambition du recueil des Visages d'une époque publié en 1929 par le photographe August Sander. C'est pourtant à une interprétation plus récente de cette tradition encyclopédique que le travail de Gursky est le plus redevable. Fréquentant la Folkwangschule d'Essen à la fin des années 1970, c'est sans aucun doute l'enseignement de Bernd et Hilla Becher, qu'il rejoint en 1981 à la Kunstakademie de Düsseldorf, qui infléchit le plus fortement sa pratique. Aux côtés de Candida Höfer et de Thomas Ruff, notamment, et à la suite de Thomas Struth, Gursky élabore auprès des Becher une esthétique qui s'oppose radicalement à la romance de l'instantané photographique et rejette la sentimentalité de ce que l'on nomme alors la photographie subjective. Assimilée à l'esthétique minimaliste de la fin des années 1960 et 1970, la démarche tardivement reconnue des Becher souligne la difficulté d'éliminer toute dimension subjective d'un processus photographique qui enregistre inévitablement les conditions de sa prise de vue (cadrage, lumière, point de vue). La typologie systématique qu'ils dressent de l'architecture industrielle – fournaise, châteaux d'eau, réservoir à gaz, etc. – s'organise ainsi en séries de photographies en noir et blanc reposant sur la constance d'une prise de vue frontale, d'un cadrage serré et d'une absence de contrastes qui, conjugués, excluent tout effet dramatique. La série de Châteaux d'eau en France par exemple, réalisée en 1972-1973, s'attaquait ainsi, selon leur description d'une remarquable objectivité, à une structure remplissant la double fonction de « stockage et de maintien de la pression » et participant à « un système par lequel l'eau est collectée et distribuée ».
Il ne s'agit donc pas de nier la part de subjectivité qui détermine nécessairement toute image photographique, mais bien de la discipliner afin d'obtenir une objectivité simulée. Ce paradoxe traverse l'art de Gursky, dont le recours à la couleur et au grand format, le point de vue nettement surélevé et, depuis 1992, le traitement numérique de l'image semblent s'écarter de la doctrine des Becher. Dans leur sillage, toutefois, son travail repose bien sur l'adoption d'un style inflexible privilégiant la précision, le statisme et le travail en série. En conséquence, le regard de Gursky ne cesse d'accroître sa distance par rapport à ses sujets, au point de s'élever de la position d'observateur distant à celle de superviseur omniscient. Cette posture inquiétante caractérise par exemple la photographie d'un match de boxe, intitulée Klitschko (1999), dont la prise de vue quasi aérienne – incluant le ring, la foule, les lumières, les écrans de retransmission télévisée – nous offre dans sa totalité le spectacle, d'ordinaire partiel,[...]
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Écrit par
- Hervé VANEL : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)
Classification
Autres références
-
PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple
- Écrit par Hervé LE GOFF et Jean-Claude LEMAGNY
- 10 750 mots
- 20 médias
...Candida Höfer avec des vues de lieux de cultures ; Axel Hütte et ses paysages naturels ; Thomas Struth et ses photographies de musées visités ; Thomas Ruff et ses portraits ; Andreas Gursky avec des champs larges consacrés aux espaces d'activité collective ou à l'architecture des édifices publics.