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TARKOVSKI ANDREÏ (1932-1986)

Un art de l'icône

En véritable créateur de formes, Tarkovski insère sa vision du monde dans des structures esthétiques qui lui confèrent toute sa puissance de suggestion. Comme Bernanos, c'est par son écriture même que Tarkovski, poète de l'écran, témoigne en faveur de la primauté du spirituel.

Chez Eisenstein, un montage d'inspiration scientifique repose sur une conception intellectuelle, fragmentée et discontinue du récit (les cent trois minutes d'Octobre comprennent plus de trois mille deux cents plans), accordant ainsi un rôle privilégié à la raison et à l'espace. Le montage tarkovskien, par essence poétique, s'appuie au contraire sur l'émotion et le lien narratif en affirmant la suprématie de la sensibilité et du temps (cent quarante-deux plans seulement pour les cent soixante et une minutes de Stalker). Plus qu'au montage classique, art du raccord ou de la rupture entre les plans, l'esthétique fait d'ailleurs ici appel au rythme à l'intérieur du plan, mis au service de la « figure cinématographique », clef de voûte du cinéma de Tarkovski : « De la sculpture avec le temps comme matériau, voilà ce qu'est le montage, voilà ce qu'est la figure cinématographique » (Positif, déc. 1981). Sculpter le temps, c'est sculpter le réel dans sa durée et permettre ainsi aux consciences de s'exprimer : d'où l'ampleur du récit, la lenteur des déplacements des personnages, la longueur des plans-séquences, souvent fixes. Mais l'écriture de l'auteur repose aussi sur l'alliance de la peinture et du cinéma, que l'on observe sur de multiples registres. Reproduction de tableaux de maître, on l'a vu, mais aussi transposition, par équivalence dans le temps et l'espace, de toiles célèbres (par exemple, ce paysage de neige du Miroir rappelant Les Chasseurs dans la neige, de Bruegel). Ou bien « natures mortes » en mouvement : lait mélangé à l'eau chargée de boue d'un fleuve (Andrei Roublev), gouttes de pluie sur une tasse de thé posée sur une table de jardin (Solaris). Récurrence de motifs visuels qui renvoient à une esthétique de l'Incarnation : l'eau, le vent, le feu (en particulier dans Le Miroir et Le Sacrifice).

Analysant les cadrages et la composition des plans, Michel Chion (Cahiers du cinéma, avr. 1984) décrypte dans les films de l'auteur un « espace pictural » dans la mesure où, avec l'écran large du Cinémascope, l'utilisation du téléobjectif et du zoom (ou travelling optique), les trois dimensions de l'image – hauteur, largeur et profondeur – sont, en quelque sorte, « écrasées et exprimées dans une surface à deux dimensions », cet écrasement étant lui-même pris en considération « sur une surface de la représentation en perspective ».

Le jeu sur les couleurs rappelle enfin la palette et l'art des nuances du peintre. Dans Stalker, le contraste établi entre le faux noir et blanc (ou le ton sépia), qui nous communique la « nausée » de l'espace quotidien « concentrationnaire », et les couleurs (bleu, vert, beige) de la « zone » est le signe d'une opposition inscrite dans un univers intérieur : la dégradation de la couleur est la marque d'un espace où la vie spirituelle s'est éteinte. Dans Le Miroir, si le présent est traité en couleurs, la plongée dans le passé (au moyen du souvenir ou du rêve) est suggérée soit par des tons à dominante verte et blanche, soit par le ton sépia des vieilles photos (le souvenir est alors imaginé par Aliocha enfant, qui en recrée le déroulement exact). Lorsque ce ton sépia s'unit au noir et blanc, le passé est alors évoqué sur le registre de l'onirique.

Par sa beauté, l'image exerce chez Tarkovski un pouvoir de fascination. Par sa poésie et son mystère, elle renvoie, tel le haïkaï japonais,[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

Classification

Média

L'Enfance d'Ivan, A. Tarkovski - crédits : De Agostini

L'Enfance d'Ivan, A. Tarkovski

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