Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ANDROGYNE

La figure plastique de l'androgyne que nous transmet l'Antiquité sous les espèces de l'Hermaphrodite couché est remarquable moins par ses caractères bisexuels, qui se trouvent effacés, que par l'indifférence ou plutôt la sérénité dont celui-ci fait preuve. Lorsque Freud cherche à rendre compte de la « bisexualité originaire », il se réfère au mythe d'Aristophane rapporté par Platon dans Le Banquet : l'humanité était constituée d'êtres à quatre bras et quatre jambes, en forme de boule, qui se révoltèrent contre Zeus et qui furent châtiés par leur séparation en deux, effectuée par le maître des dieux et achevée par Hermès. Dès lors, les corps des humains portent des endroits percés — ceux qu'Hermès a aménagés dans son travail de réparateur, après la couture — et chaque moitié de l'androgyne primitif cherche sa moitié complémentaire : c'est cela que les hommes appellent amour. Qu'ils se présentent sous la forme de l'androgyne primitif, proche de l'œuf orphique séparé en morceaux de monde, ou sous celle d'un éphèbe féminisé, l'androgyne et l'hermaphrodite ont perdu la signification cultuelle qu'ils pouvaient avoir et que les historiens de l'Antiquité ont, depuis peu, restituée.

En Grèce, ainsi que dans l'Asie Mineure, existaient des rites de bisexualité ; les devins, les shamans, ancêtres des philosophes, portaient des robes de femmes (comme en témoigne l'iconographie du dieu Dionysos) ; la biographie de l'un d'eux, Tirésias, comporte des traits bisexuels : il fut successivement homme et femme, ce qui fut la cause même de sa cécité et de ses dons prophétiques. Le pouvoir divinatoire est donc lié à la bisexualité, qui est manifeste dans le geste rituel de l'anasyrma : l'homme travesti en femme relève ses robes sur son sexe, geste sacré qui renvoie à l'origine des hommes, à la procréation mythique. Marie Delcourt montre bien (Mythes et rites de la bisexualité) que le mythe de l'androgyne trouve son aboutissement dans le mythe de l'oiseau phénix : il n'a pas de géniteur et s'engendre lui-même, dans le processus de combustion mystique où un bûcher lui sert de cercueil et de matrice. Le mythe de Kaineus, ex-Kainis, fille du roi des Lapithes, fait la transition entre l'androgyne et l'oiseau : à la suite d'un viol, elle demande et obtient d'être transformée en un homme, ce qui la rend invulnérable. Pour la vaincre, il faudra accumuler sur son corps des troncs d'arbre d'où sort un oiseau magique. Le mythe du phénix a une histoire précise : celui-ci s'implante à Rome, où il devient le support de l'apothéose des empereurs, sous l'aspect de l'aigle mythique, porteur d'androgynie et d'immortalité ; lorsque le christianisme se répand à Rome, le phénix accompagne les images du Christ. L'androgynie renvoie donc à l'immortalité et, en vertu d'une lecture psychanalytique, à un refoulement de la procréation : l'androgyne s'engendre lui-même, puisqu'il possède les deux caractères sexuels qui, hors de lui, demandent une rencontre pour produire un être nouveau.

En 1900, environ, tandis que resurgissent une abondante iconographie de l'androgyne (Gustave Moreau ; les symbolistes belges ; Puvis de Chavannes ; Gauguin) et une littérature fortement empreinte de bisexualité (Proust ; Rachilde, avec Monsieur Vénus ; Peladan, avec L'Androgyne), les premiers psychanalystes s'occupent de la théorie de l'hermaphrodisme. W. Fliess, l'ami de Freud, avec lequel il entretient une longue correspondance à ce sujet, croit découvrir une périodicité des processus vivants (notamment avec la menstruation féminine et son équivalent masculin, qui porterait sur un cycle de vingt-trois jours), et il pense[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université

Classification

Autres références

  • DÉSIR (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 094 mots
    Quant au discours d’Aristophane, il s’articule autour du mythe de l’androgyne. Selon Aristophane, l’amour serait un désir inconscient remontant à l’origine des temps et nous poussant à reconstituer l’unité primordiale qui fut brisée par les dieux. Des êtres de forme sphérique, les androgynes, peuplaient...
  • DYADE

    • Écrit par
    • 866 mots

    La dyade est l'archétype de tous les aspects symboliques, conceptuels et logiques que porte le nombre deux : dualité, duplicité, contrariété, aporicité, symétrie, gémellité, complémentarité, antagonisme, ambivalence, etc. C'est l'archétype qui régit les formes et les processus de symétrisation,...

  • HERMAPHRODISME

    • Écrit par
    • 1 581 mots
    • 5 médias
    ...glandes génitales d'un seul sexe tandis que les conduits génitaux, les organes génitaux externes et l'aspect corporel appartiennent aux deux sexes. L' androgyne, de sexe masculin, possède des testicules normaux, mais ses conduits génitaux sont de type femelle. Le gynandroïde est de sexe féminin avec...
  • HERMAPHRODITE

    • Écrit par
    • 1 150 mots

    L'enjeu philosophique du symbolisme de l'hermaphrodite est tout entier présent dans un aphorisme de l'alchimiste Heinrich C. Khunrath : « De l'Un grossier et impur naît un Un extrêmement pur et subtil. » L'hermaphrodite symbolise le processus de métamorphose...

  • Afficher les 8 références