GABRIEL ANGE JACQUES (1698-1782)
Si l'un des mérites principaux de l'architecture réside en l'adaptation raisonnée de l'édifice à sa destination et à son site, l'œuvre d'Ange Jacques Gabriel peut être tenue pour exemplaire. La place Louis-XV, l'École militaire, les résidences royales, l'Opéra de Versailles ont proposé à cet architecte français autant de programmes divers qu'il faut considérer tour à tour pour apprécier la manière dont ils ont été réalisés.
Entre l'animation baroque et la froideur néo-classique, Gabriel a toujours conservé un équilibre et une juste mesure qui, à vrai dire, touchent peu la sensibilité de notre temps. Plus d'imprévu distingue à nos yeux les œuvres créées au contact de l'art baroque par ses contemporains portant des noms français : Jardin à Copenhague, Jadot à Vienne, La Guépière au Wurtemberg. Pour être équitable, il faut reconnaître en Gabriel, non le génie d'un novateur, mais les qualités d'un très grand maître : la noblesse et la simplicité des partis, la distinction de l'ornement et des profils, le sens de l'échelle urbaine et monumentale. Il ménage avec autant d'aisance que d'ampleur les articulations d'une façade. Il veille avec sévérité à la bonne exécution de l'appareil, des ferronneries et des lambris. Ses nombreux dessins, conservés pour la plupart dans les papiers de la Maison du roi (Archives nationales), attestent la prudence de sa démarche et l'exigence de son goût.
Approcher l'œuvre de Gabriel, c'est recueillir une leçon de probité artistique. C'est aussi reconnaître le soin donné par le plus intelligent des Bourbons aux monuments de son règne.
La place Louis-XV
Ange Jacques Gabriel, né à Paris, est issu d'une famille d'architectes estimée dès le règne de Louis XIV et liée par un mariage à celle des deux Mansart. Son grand-père, Jacques IV Gabriel, est signalé avec éloge dans les mémoires de la Grande Mademoiselle. Son père, Jacques V, premier architecte du roi, a laissé de fort beaux édifices : l'hôtel de ville de Rennes, la place Royale de Bordeaux, l'évêché de Blois. Lui-même avait dessiné tout jeune sous les yeux de Louis XV et il recueillit la succession paternelle en 1742. Pendant trente ans, il fut le principal ordonnateur des entreprises de ce souverain.
À Paris, comme à Versailles, un temps de repos avait succédé à l'effort architectural du règne de Louis XIV, alors que, par la plume de Voltaire et celle de La Font de Saint-Yenne, le mouvement philosophique étendait sa critique aux problèmes d'architecture et d'aménagement urbain. Après la paix d'Aix-la-Chapelle (1748), le retour à la prospérité et l'influence de Mme de Pompadour imprimèrent à l'architecture officielle un nouvel élan. Gabriel fut subordonné aux deux directeurs successifs des Bâtiments du roi, Tournehem et Marigny, parents de Mme de Pompadour. Il obtint le respect de Marigny, objet de la faveur royale, mais jaloux de son autorité et versatile dans ses convictions esthétiques. Grâce à la confiance de Louis XV et malgré de nouvelles économies imposées par la guerre de Sept Ans, Gabriel sut mener à bien une œuvre ample et variée à laquelle a manqué, seulement, une grande église. Il y maintint les traditions classiques du règne de Louis XIV, mais avec les nuances de grâce et de sensibilité qui distinguent le goût de son temps.
La création de la place Louis-XV, aujourd'hui place de la Concorde, se situe dans une longue tradition. En 1750, en effet, quatre places parisiennes encadraient déjà la statue d'un souverain et plusieurs villes de province venaient de consacrer des monuments à Louis XV le Bien-Aimé. À Paris, la place Louis-XV eut aussi son origine dans une décision municipale, ce qui semblait d'abord exclure l'intervention du premier architecte du[...]
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Écrit par
- Michel GALLET : conservateur du Patrimoine en chef de la Ville de Paris, membre associé de l'Académie d'architecture
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Médias
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