GABRIEL ANGE JACQUES (1698-1782)
L'Opéra de Versailles
L'ouvrage le plus important de Gabriel à Versailles fut l'Opéra. La construction d'un théâtre dans l'aile du Nord, confiée par Louis XIV à Gaspard Vigarani, était restée en suspens. Il fut question de la reprendre en 1748. Paris manquait aussi d'un grand théâtre, et la tradition française dont Gabriel était l'héritier n'offrait en ce domaine aucun exemple. Seuls quelques machinistes de talent – Jean Nicolas Servandoni, Antoine Joseph Loriot, Jean Damun, Boulet, Blaise Arnoult, Alexandre Girault – savaient aménager pour un bal ou un spectacle une salle de palais. Versailles eut sous Louis XV un théâtre provisoire au Manège, un autre dans l'escalier des Ambassadeurs. Comme beaucoup d'autres, la création de Gabriel fut lente et soumise aux vicissitudes de la guerre et de la paix. L'artiste hésitait et ne pouvait courir le risque de l'échec. Longtemps, il proposa au roi des solutions provisoires. En 1750, la construction du théâtre de Lyon par Soufflot fut l'occasion d'une enquête à l'étranger. Le chevalier de Chaumont et l'architecte Gabriel Dumont visitèrent les théâtres italiens. Le programme à préciser mettait en jeu l'optique, l'acoustique, l'éclairage, la prévention des incendies, la commodité des issues, les habitudes mondaines en un temps où les femmes venaient moins au spectacle pour voir que pour être vues. Louis XV se réservait. L'important Marigny, les machinistes, les officieux de la ville et de la Cour abondaient en conseils irritants. C'étaient tour à tour Bachaumont, l'arbitre des goûts, le chagrin marquis d'Argenson, le graveur Cochin, les architectes de Bourges et Blondel, le chorégraphe Noverre, l'amateur Monginot.
Gabriel, pour se donner du temps, aménagea avec ampleur l'enveloppe architecturale de l'édifice. L'élévation qui achève discrètement l'aile du Nord au bord des réservoirs et celle qui se dresse comme une falaise vers la ville sont parmi ses chefs-d'œuvre les moins connus. Elles prolongent l'ordonnance fixée par Mansart du côté du parc et respectent la hauteur de ses étages : ici encore, une contrainte assumée a fait naître un bel effet (1764). C'est dans cet « abri souverain » que Gabriel, en attendant de conclure un tel projet à l'occasion de quelque mariage à venir, a mûri les dispositions d'un théâtre digne de la Cour et conforme aux vœux de l'opinion. Comme à Turin, la salle a reçu la forme d'un ovale tronqué du côté de l'avant-scène. Comme à Bologne, une voussure percée de lunettes soutient le plafond, ici décoré par Louis Durameau. Mais, pour éviter la monotonie qui donnait aux théâtres italiens l'aspect de « catacombes ou de cages à poulets », Gabriel a varié la saillie des balcons, échancré largement les cloisons des loges, joué d'un grand et d'un petit ordre de colonnes distribués sous la même corniche. Une triple loge grillée – au moment où va paraître Mme Du Barry – préserve au fond l'intimité royale. Blaise Arnoult étudia le mécanisme du parquet mobile qui réunit de plain-pied la salle et la scène pour le festin des noces du dauphin et de l'archiduchesse Marie-Antoinette.
Cette échéance de mai 1770 avait réuni dans la fièvre, autour de Gabriel et d'Arnoult, Abraham Guerne et Guesnon pour la charpente, Delanois pour la menuiserie des loges, Pajou pour un décor de sculptures que l'architecte eût souhaité moins exubérant. Débordé par tant de zèle et de compétences, le vieil architecte a su maintenir sa marque à l'ensemble avec une volonté digne d'admiration. Une restauration conduite vers 1965 par l'architecte André Japy a restitué à la salle sa polychromie primitive. L'éclat de trois mille bougies placées dans des « lampes à miroir » fit scintiller cette harmonie[...]
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Écrit par
- Michel GALLET : conservateur du Patrimoine en chef de la Ville de Paris, membre associé de l'Académie d'architecture
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