GABRIEL ANGE JACQUES (1698-1782)
L'art de Gabriel
Un projet destiné à l'Opéra montre deux motifs possibles pour l'encadrement de la loge royale : un stipe de palmier et un pilastre. Cette hésitation consciente entre les libertés de la rocaille et le retour à l'ordre classique invite à situer Gabriel dans le mouvement profond qui transformait l'art français depuis le milieu du siècle. Les édifices dessinés par Gabriel père vers 1735 montrent que l'évolution classique engagée au temps de Louis XIV s'était légèrement infléchie sous l'influence de l'art italien. L'hôtel de ville de Rennes, avec sa concavité centrale et son beffroi bulbeux, garde le souvenir de la place Navone que Gabriel père a pu admirer à Rome avec Robert de Cotte en 1689. Les dessins signés par Ange Jacques en 1747 pour l'église de Choisy sont encore animés d'un pittoresque qui va progressivement s'effacer après 1750.
Le retour au classicisme est un mouvement que Gabriel n'a ni précédé ni entraîné, comme d'autres ont pu le faire autour de lui, mais auquel il s'est associé. Bien qu'il n'eût pas visité l'Italie, ses fonctions de premier architecte du roi lui assuraient la direction de l'Académie d'architecture et le plaçaient donc au centre du mouvement artistique de son temps : il a donné l'imprimatur aux écrits des réformateurs, écouté les conférences, approuvé les projets d'architecture publique, jugé les concours de Rome ainsi que les envois des lauréats férus d'archéologie gréco-romaine.
Les années où Gabriel met au point ses dessins pour la place Louis-XV sont marquées dans l'architecture parisienne par ce qu'on a nommé le style « à la grecque ». Il s'agit en réalité d'un hellénisme de convention, reconstitué par ouï-dire en attendant la publication des premiers recueils sur les antiquités d'Athènes. Ce qu'on peut dire, c'est qu'un désir de sobre élégance et le retour au « grand goût » du règne de Louis XIV dominaient alors son inspiration. L'ordre corinthien, qui orne la place Louis-XV, étudié depuis longtemps d'après ses plus beaux exemples romains, est celui dont l'archéologie du xviiie siècle a le moins renouvelé la connaissance. L'œuvre de Gabriel ne renvoie donc pas à l'art grec tel que l'a connu le xviiie siècle, mais témoigne de cette qualité du goût qu'on nomme l'atticisme. Cette grâce fait le prix de quelques petits édifices conçus pour les plaisirs du roi ou son repos pendant la chasse : le pavillon français de Trianon, le rendez-vous du Butard et ses répliques du pont Colbert et de la Muette, en forêt de Saint-Germain.
La fin de la guerre de Sept Ans autorisa Mme de Pompadour à faire approuver par Louis XV l'un des projets de Gabriel pour le Petit Trianon. L'édifice devait prendre place près d'un jardin botanique planté sous les ordres de Bernard de Jussieu. Le volume cubique et le dessin des péristyles ne sont pas sans trahir l'influence du palladianisme anglais. Le même rythme se renouvelle au long des quatre façades, marqué ici par des pilastres et là par des colonnes. Cette œuvre, de proportions parfaites, justifie ainsi une maxime apparue au xviiie siècle : le beau est l'unité dans la diversité.
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Écrit par
- Michel GALLET : conservateur du Patrimoine en chef de la Ville de Paris, membre associé de l'Académie d'architecture
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