IONATOS ANGÉLIQUE (1954-2021)
La compositrice, chanteuse et guitariste Angélique Ionatos était beaucoup plus connue auprès de la diaspora grecque, en France notamment, que dans son pays natal, où elle a toujours puisé son inspiration.
Angélique Ionatos, nom francisé d’Angelikí Ionátou, est née à Athènes le 22 juin 1954. Son père était un marin communiste à une époque où le Syndicat des gens de mer, proche du Parti communiste de Grèce (KKE), était très influent dans la marine marchande, comme sur les docks du Pirée, de Thessalonique, de Patras ou de Volos. En 1969, Angelikí, ses parents et son frère Photis fuient la dictature des colonels (avril 1967-juillet 1974) pour se réfugier à Liège en Belgique. Rapidement, la famille quitte ce pays pour s’installer en France.
En 1972, Angélique Ionatos sort, en collaboration avec son frère, son premier disque intitulé Résurrection. Pour cette œuvre, chantée en français, elle reçoit, à seulement dix-huit ans, le grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros. Mais, très vite, ses racines la ramènent à sa langue natale, tout comme son célèbre compatriote, le compositeur Míkis Theodorákis (1925-2021) qui, à cette époque, vit lui aussi en exil à Paris et va exercer une influence déterminante sur les choix artistiques de la jeune femme. Opposant à la dictature des colonels, Theodorákis façonne une nouvelle musique grecque, qu’il veut à la fois populaire et savante. Ainsi, dès 1977, Angélique Ionatos fait le choix de chanter principalement en grec ‒ elle dira d’ailleurs : « Grecque de la diaspora, ma vraie patrie, c’est ma langue » ‒, tout en continuant à chanter en français et même en espagnol. Elle met en musique les poèmes d’Odysseus Elýtis, de Constantin Cavafy, de Manolis Anagnostakis, de Sappho ou encore du Chilien Pablo Neruda. La chanteuse puise également son inspiration et son style dans la musique traditionnelle grecque, et plus particulièrement dans les chants des femmes de Crète et d’Épire, notamment les chants funéraires dont les origines remontent à l’Antiquité. En effet, le dialecte crétois, avec le grec chypriote, a gardé une syntaxe et un vocabulaire assez proche du grec ancien. Quant à l’Épire, à la frontière de l’Albanie, elle est restée une terre de tradition, sauvage et rebelle, peu touchée par la modernité. Ce mélange de complaintes funèbres et de lamentations poétiques que l’on appelle le thrène inspire à la chanteuse son sens du tragique.
Entre 1972 et 2015, Angélique Ionatos a réalisé une vingtaine d’albums, composé et joué avec les musiciennes grecques Maria Néféli, Néna Venetsánou (notamment en 1991 pour l’album Sappho de Mytilène, son plus grand succès), Katerina Fotinaki, ainsi qu’avec le Français Henri Agnel et l’Argentin Cesar Stroscio. Elle a également écrit deux musiques de film, pour Voleur de vie d’Yves Angelo (1998) et Je lutte donc je suis de Yannis Youlountas (2015), sur la crise économique qui a gravement touché la Grèce à partir de 2010. De 1989 à 2000, elle a été artiste associée au Théâtre de Sartrouville, dont le directeur, Claude Sévenier (1939-2016), était son mari et le père de son fils Alexis. En 2015, Reste la lumière met un point final à sa discographie. Elle donne son dernier concert le 6 avril 2018 au Triton, petit club des Lilas en Seine-Saint-Denis, où elle se produisait régulièrement. Elle est morte chez elle, aux Lilas, le 7 juillet 2021. Ses cendres ont été dispersées en Grèce.
Comme l’écrivain Vassilis Alexakis (1943-2021), Angélique Ionatos faisait partie de ces Grecs francophones, francophiles qui étaient très attachés à leurs deux pays. Si la France, terre d’exil, leur était devenue une seconde patrie, leurs racines n’en continuaient pas moins de plonger dans l’histoire, la langue et la musique de la Grèce.
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Écrit par
- Christophe CHICLET
: docteur en histoire du
xx e siècle de l'Institut d'études politiques, Paris, journaliste, membre du comité de rédaction de la revueConfluences Méditerranée
Classification
Média